Dernière adresse, Hélène Le Chatelier

Hélène Le Chatelier m’a bluffée. Elle m’a tout simplement bluffée. Sans que je ne m’y attende, d’ailleurs. Ceux qui ne sont pas de mauvaise foi l’attesteraient pourtant, que je ne suis pas de nature influençable. Ni facilement malléable. Les quelques personnages qui ont cru pouvoir me rallier à eux s’en sont brûlé les doigts. Mais Le Chatelier, elle, elle m’a eue. Elle m’a dupée. Elle a rangé l’iconoclaste que je dis être au placard. Elle l’a enfermée à double tour. Et le temps de 91 pages, elle l’a soumise à son talent – un talent qui, jugé par son premier roman, est grand. Bien grand.

Je suis tombée sur Dernière adresse un peu par hasard, en fouinant distraitement dans les rayons d’une librairie. A la recherche de têtes familières. Et la trouvant, elle. Hélène. Hélène Le Chatelier. Un nom inconnu que j’ai sorti de la pile. Sans raison. L’intuition. Je l’ai ôté de cette pile qui annihilait son talent ; qui le perdait dans l’ordinaire alors qu’il n’est que le contraire. Car – il me faut honteusement l’avouer – je n’avais alors jamais entendu parler d’Hélène Le Chatelier.

Et quelle trouvaille, mes amis ! quelle trouvaille. Je suis tombée en amour pour Le Chatelier. En amour pour son style, son originalité ; pour son histoire et l’émotion qui en découle. Rien que ça – au moins.

Dans Dernière adresse, Le Chatelier conte les derniers jours d’une octogénaire au sein d’une maison de retraite dans laquelle elle a hâtivement été placée par une progéniture la jugeant sénile. Entre amertume et solitude, la vieille dame revient sur les moments de sa vie. De son enfance passée dans son Irlande natale à son aller simple et précipité pour la France. Et tout au long des souvenirs – tantôt douloureux, tantôt tendres – sur lesquels elle s’épanche, les raisons de cet exil se livrent à demi-mots – à nos yeux déconfits. Une histoire dure comme il doit en exister tant, pourtant.

 Le titre – on l’aura compris – fait référence à l’adresse de ce foyer qu’elle ne quittera plus. Ou si, mais entre quatre planches. Et elle en est consciente. Et nous aussi. L’histoire s’achève au dernier souffle d’une vie qui nous fait reconsidérer l’existence des vieilles personnes, à l’heure où, isolées, certaines meurent d’ennui. Avec l’angoisse, la crainte que la fin de toute chose puisse réellement signifier la fin de toute chose. Une fin qui anéantira tous les projets bâtis. « Au bout du compte, de la vie j’ai tout aimé sauf la fin », s’épanche la narratrice à la fin du roman. Sauf la mort. Ainsi va la vie. Amère.

 « Vieillir, c’est perdre l’équilibre, perdre la vue, l’ouïe, la mémoire, ses urines, son autonomie, ses cheveux, ses dents, ses amis, sa place dans la société (…) Vieillir c’est perdre. Perdre et se résigner à perdre. Se dépouiller de toutes ces choses parfois si chèrement acquises. C’est ça. On passe la fin de sa vie à se défaire de ce qu’on a mis tant de temps à acquérir. » (Hélène La Chatelier, Dernière adresse, Paris, Arléa, 2009, p.81)

Ce qu’il y a de surprenant dans Dernière adresse, c’est l’âge de son auteur au moment de la publication : trente-quatre ans. A trente-quatre ans, Hélène Le Chatelier se glisse dans la peau d’une femme dont la fin de vie se résume à devoir accepter et attendre la mort. Remarquable. Un exploit, une prouesse – je ne le répèterai jamais assez.

 Un livre sur la mort donc, qui plus que jamais donne envie de vivre. Avec l’espoir qu’au final, de la vie, on aimera tout. Sauf la fin – cinq étoiles.

Dernière adresse, Hélène Le Chatelier. Arléa, 2009. 

Par Mehtap

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