Mission Nouvelle Terre, Amy Kathleen Ryan

Actuellement, c’est la dystopie qui a le vent en poupe dans la littérature jeunesse ; mais il existe un autre courant, souvent mêlé à la dystopie, qui s’est imposé : le post-apocalyptique. Comme son nom l’indique, c’est un courant qui place les intrigues dans des univers ayant subi une catastrophe quelconque (guerre, catastrophe naturelle…), qui oblige les survivants à s’organiser dans une nouvelle forme de société… laquelle, au final, ne s’avère pas forcément meilleure que la précédente.
Avec Mission Nouvelle Terre, Amy Kathleen Ryan choisit un univers post-apocalyptique, justement, dans lequel elle tisse une intrigue qui a tout à voir avec la science-fiction.

Waverly vient de fêter ses 15 ans. Son univers se résume à l’Empyrée, le vaisseau spatial sur lequel elle a vu le jour, parti des années plus tôt, en même temps que le Nouvel Horizon. À leurs bords, des volontaires, partant coloniser une potentielle et très lointaine Nouvelle Terre, afin de tâcher de sauver l’Humanité. 

À 15 ans, Waverly a un avenir tout tracé : elle sait qu’elle ne tardera pas à être mariée, son devoir étant de perpétuer la race. Kieran, son petit ami, est quant à lui appelé à devenir, un jour, capitaine du vaisseau. Mais Waverly doute : à 15 ans, rien de plus normal. Elle ne se voit pas encore mère de famille et, bien qu’elle adore Kieran, elle se demande souvent s’ils sont faits pour aller ensemble. Ce que dément fermement Seth, un de ses camarades, véritable fauteur de troubles.

Malgré ces questions, tout va pour le mieux pour ces adolescents, les enfants les plus âgés du vaisseau. Du moins jusqu’à ce que le Nouvel Horizon, l’autre vaisseau spatial qui accompagne l’Empyrée, ne dirige une attaque meurtrière et incompréhensible sur le vaisseau : afin de pallier un redoutable problème de fertilité à son bord, l’équipage du Nouvel Horizon enlève toutes les jeunes filles de l’Empyrée. S’ensuit donc une course-poursuite, les parents voyant d’un assez mauvais œil le kidnapping de leur progéniture.

Si Waverly se trouve parmi les jeunes filles enlevées et terrifiés, Kieran, lui, va devoir maintenir le vaisseau, alors qu’il n’y a plus un seul adulte à bord (ils sont soit morts, soit partis tenter de récupérer les filles). La résistance s’organise, et l’adolescent tente de parer au plus pressé, en prenant des décisions parfois difficiles. Ce qui ne manque pas de provoquer la colère de certains garçons, l’accusant d’incompétence. Le jeune homme va donc devoir gérer un certain nombre de mutineries, en plus du reste du vaisseau, ce qui n’est pas une mince affaire. Waverly, de son côté, prend vite la tête de la résistance chez les jeunes filles, les incitant à lutter contre leurs ravisseurs. Ce qui, une fois de plus, n’est pas au goût de tout le monde.

Mission Nouvelle Terre a le mérite d’explorer un genre trop peu souvent dédié à la jeunesse : la science-fiction, avec vaisseaux et conquête spatiale. Sans dénaturer le propos, ni proposer un récit fade et facile. Loin de là ! Amy Kathleen Ryan propose ici une intrigue complexe, menée tambour battant et de main de maître.

Évidemment, la série n’est pas parfaite : on déplorera donc un certain nombre d’incohérences scientifiques (ou du moins d’éléments trop peu expliqués. Par exemple : comment peut-on cultiver des plantes sur un vaisseau parti depuis 30 ans ? Mystère.) et quelques points qui font tiquer. Heureusement, cela reste rare, et surtout concentré dans le premier tome, celui qui pose le décor.

Le véritable point fort de cette série, ce sont les personnages. L’auteur les a dotés d’une véritable consistance, et n’hésite pas à les malmener. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’elle étudie très finement la psychologie de ses personnages, en analysant leurs ressentis et évolutions. On est très très loin des pantins de papier. Mieux : elle les place volontairement dans des situations difficiles, et les maintient allègrement sur le fil du rasoir. A travers l’intrigue, elle en profite pour développer tout un tas de thèmes on ne peut plus intéressants, et vraiment bien traités : il sera donc question d’idéologie, de manipulation des masses, de terrorisme, de la place et de la condition des femmes, d’éthique, ou encore de survie. Sans compter, bien sûr, l’adolescence, qui se situe au cœur de l’histoire.

Les ados mis en scène par l’auteur sont d’ailleurs parfaits : s’ils endossent volontiers le rôle d’adultes, par nécessité, ce ne sont pas des héros « surhumains » (défaut courant en littérature jeunesse, malheureusement). Ici, ils craquent souvent, se comportent de façon puérile, font avec les moyens du bord, ou en arrivent à réclamer de l’aide (car, après tout, ce ne sont que des enfants). L’auteur parvient à en dresser un portrait extrêmement juste et intelligent. D’autant que certaines de leurs réactions nous laissent pantois : tour à tour on les plaint, on les déteste, on s’angoisse pour eux, on se dit qu’ils ont mérité ce qui leur arrive. En un mot : ils sont humains !

Et du côté des adultes, c’est du même acabit : s’ils sont absents (ou presque) des premiers tomes, on les côtoie nettement plus dans le dernier, à bord du Nouvel Horizon… pour se rendre compte que l’auteur leur a accordé le même traitement soucieux et minutieux !

De plus, Amy Kathleen Ryan nous conte cette aventure d’un style fluide, qui maintient habilement le suspens du début à la fin : les fins de tomes sont souvent inattendues, surprenantes, et laissent le lecteur sur des charbons ardents, pressé qu’il est de savoir comment se soldera le conflit. Les rebondissements s’enchaînent, les révélations (vraies ou fausses) vont bon train, et on s’interroge sans cesse sur la loyauté des personnages : difficile de toujours savoir qui joue pour quel bord dans ce nid de vipères !

Le dernier tome ne démérite pas, et offre un véritable point d’orgue à la série : le rythme est enlevé, la situation souvent désespérée, et les thèmes toujours aussi finement traités. L’auteur évite le happy end dégoulinant et propose, de plus, un final dans le ton du reste de la série. C’est une conclusion époustouflante.

Avec Mission Nouvelle Terre, Amy Kathleen Ryan s’inscrit comme un auteur à suivre : le style est fluide, la série est originale, le ton est juste. On se passionne pour les aventures quelque peu désespérées de ces adolescents à la dérive, embarqués dans un huis-clos prenant, sur fond de conquête spatiale et de survie. On est subjugué par la palette de personnages, tous plus fouillés les uns que les autres. En bref, il serait dommage de se priver d’une trilogie d’aussi bonne qualité !

 Amy Kathleen Ryan, Mission Nouvelle Terre : Glow (2012), Spark (2013), Flame (2014), Éditions du Masque (MsK).

Par Oihana

A propos Oihana 710 Articles
Lectrice assidue depuis son plus jeune âge, Oihana apprécie autant de plonger dans un univers romanesque, que les longues balades au soleil. Après des études littéraires, elle est revenue vers ses premières amours, et se destine aux métiers du livre.

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