La Fille-flûte et autres histoires post-apocalyptiques par Paolo Bacigalupi

Paolo Bacigalupi est un romancier et nouvelliste américain, dont les textes (romans destinés aux adultes ou à la jeunesse, nouvelles, et autres histoires) ont reçu de nombreuses et prestigieuses récompenses, allant du prix Hugo au prix Nébula, en passant par le prix Locus. Si la rentrée littéraire le verra revenir avec un roman jeunesse consacré aux zombies (dont on vous parle très bientôt sur Café Powell), le début de la saison estivale a été l’occasion de se replonger dans 10 de ses nouvelles, toutes primées, et regroupées par le Diable Vauvert dans un recueil intitulé La Fille-flûte et autres fragments de futurs brisés (lui-même récompensé du prix Locus, en 2008!).

Les dix textes (de 20 à 60 pages) abordent des thèmes chers à l’auteur : un avenir très sombre, la destruction progressive de la nature et de l’humain, la déchéance irrémédiable de la société, des technologies utilisées à mauvais escient, et une soif de pouvoir insatiable.

Dans La Fille-flûte, la nouvelle qui ouvre le recueil, on suit des sœurs jumelles, Lidia et Nia, dont les corps ont été modifiés à l’extrême, de façon à y intégrer des clefs de flûtes traversières… ce qui fait que les sœurs produisent de la musique avec le corps de l’autre, sous l’œil vigilant de Belari, leur propriétaire et mécène, elle-même une célébrité régnant sur un petit fief, et à la recherche de puissants protecteurs. Dans cette société, le pouvoir échoit aux célébrités qui repoussent l’oubli et l’anonymat à coups de coûteuses opérations chirurgicales, et dominent le marché de l’art, en créant, vendant et échangeant, des êtres humains modifiés. Le constat est glaçant, mais la nouvelle fonctionne à merveille !

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Le thème de l’appropriation de la nature est merveilleusement traité dans la nouvelle Le Chasseur de tamaris. Là, un homme est chargé de déraciner les tamaris, arbres gourmands en eau et donc nuisibles dans un monde ravagé par la sécheresse. Pour chaque arbre déraciné, il reçoit une prime de la multinationale californienne qui détient désormais tous les droits sur l’eau et a dérouté tous les fleuves. Mais pour chaque arbre déraciné, il en plante un nouveau, afin d’avoir toujours du travail. Une petite combine qui fonctionne plutôt bien, jusqu’au jour où la multinationale remonte jusque dans son petit coin de verdure… pour canaliser l’eau. C’est un texte où l’anticipation n’est pas si présente que cela, vu que l’on est à déjà à deux doigts de vivre ce genre de choses. Mais c’est un texte profond, puissant, qui amène à réfléchir, et qui fait frémir !

Autre thème : la déchéance de la civilisation. Celui-ci transparaît dans quasiment toutes les nouvelles, mais est particulièrement marqué dans Peuple de sable et de poussière, ou La Pompe Six. Dans le premier texte, on suit un groupe d’interventions (genre de soldats galactiques) composés de post-humains (aux organes greffés ou extensions tous plus bizarres les uns que les autres) qui se nourrissent de sable, de cailloux, et d’à peu-près tout ce qui traîne par terre, car telle est l’évolution. Le jour où ils trouvent un chien (un vrai, en dehors d’un zoo), l’émerveillement le dispute à la curiosité puis, bientôt, à des questions pragmatiques : puisqu’il ne peut prendre soin de lui-même seul et qu’il coûte une fortune à entretenir, ne vaudrait-il pas mieux qu’il finisse en brochettes ? Dure est la loi de l’évolution…

Dans La Pompe Six, le thème est abordé sous un autre aspect : on y suit les pérégrinations d’un homme quasiment immortel (comme tous les êtres humains) dont le travail consiste à surveiller une station d’épuration, dotée de six pompes surpuissantes en sous-sol… qui tombent en panne, faute d’entretiens. Problème : personne ne sait comment les entretenir, ni les mettre à jour, et la société qui les a produites a, bien évidemment, mis la clef sous la porte depuis belle lurette. Et que se passe-t-il lorsque la transmission du savoir n’est plus assurée ? Eh bien c’est rapidement la pagaille, à tous les niveaux. Une issue vers laquelle galopent les protagonistes de ces deux nouvelles qui, chacune à leur façon, mettent en scène la déchéance de l’humanité.

Avec La Fille-flûte et autres fragments de futurs brisés, Paolo Bacigalupi propose dix récits de science-fiction appartenant à une ère post-apocalyptique, et dans laquelle l’humanité est clairement menacée. Dix textes ciselés, servis dans un recueil magnifiquement illustré, qui font frémir, réfléchir, tout en proposant des plongées dans des univers originaux. En bref : un recueil de qualité à côté duquel il serait extrêmement dommage de passer !

La Fille-flûte et autres fragments de futurs brisés, Paolo Bacigalupi. Au Diable Vauvert, 3 juin 2014. Traductions de l’anglais par : Julien Bétan, Sébastien Bonnet, Sara Doke, Claire Kreutzberger et Laurent Queyssi. 

 Par Oihana

A propos Oihana 710 Articles
Lectrice assidue depuis son plus jeune âge, Oihana apprécie autant de plonger dans un univers romanesque, que les longues balades au soleil. Après des études littéraires, elle est revenue vers ses premières amours, et se destine aux métiers du livre.

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