Snow Therapy : l’arène des neiges.

Une famille suédoise est venue passer une semaine dans les Alpes, aux Arcs. Le deuxième jour, alors qu’ils sont tranquillement attablés à la terrasse d’un restaurant d’altitude, ils voient une avalanche se diriger droit sur eux. Il n’y a pas de risque, elle est contrôlée. … Vraiment ? Panique parmi les touristes, qui voient le mur de neige déferler à toute vitesse vers le restaurant. Ebba protège ses enfants, mais ils ne parviennent pas à s’enfuir ; Tomas, lui, prend ses gants et son iPhone sur la table, et part en courant.

Blanc.

Petit à petit, le nuage de neige se dissipe. Plus de peur que de mal : l’avalanche elle-même s’est arrêtée avant le restaurant, ce ne sont que les projections qui ont recouvert la terrasse – l’écume du tsunami. Tandis que ceux qui n’ont pas pu fuir époussettent le blanc de leurs épaules, Tomas revient, dans sa doudoune bleue immaculée. Comment continuer après cela ?

Silence.

Et puis le soir, lors d’un dîner avec des amis, Ebba raconte l’événement et Tomas réagit de manière inattendue : il nie en bloc. Si sa fuite face au danger pouvait lui être pardonnée, mise sur le compte de l’instinct de survie, comment comprendre ce second acte de lâcheté ?

* * *

snow therapy avalanche

Rythmé par l’alternance des jours et des nuits, Snow Therapy est un film en tension permanente. La montagne est d’emblée présentée comme une menace : le jour, c’est une immensité déserte, et seul le claquement des perches du tire-fesse contre les poteaux vient rompre le silence oppressant ; la nuit, c’est une scène de guerre, on entend des explosions résonner et les canons à neige crachotent pendant que les chasse-neige, comme des chars, défilent sur les pentes blanches. Et pourtant Ruben Östlund, le réalisateur, prend un malin plaisir à ne filmer que des catastrophes avortées (lors du Q&A qui a suivi la projection, il nous a d’ailleurs fait part de sa fierté à ne jamais avoir tué un seul de ses personnages – en six films, c’est plutôt pas mal !).

Cette tension, sans cesse ravivée à coup de Vivaldi, maintient le spectateur en haleine, dans l’attente d’une catastrophe, et pourtant Snow Therapy n’est pas un film « prenant », au sens où l’on serait emporté dans l’histoire. Ruben Östlund multiplie les symboles et semble accorder plus d’importance aux comportements de ses personnages, à ce qu’ils révèlent, plutôt qu’à la charge émotionnelle qu’ils contiennent. C’est une pièce de théâtre, un drame existentiel en cinq actes : on est au spectacle, on regarde Tomas se débattre – face à lui-même, face à sa femme, face à ses enfants, face à leurs amis, face à la nature. Nous sommes cet homme de ménage qui les observe tous les quatre, et qui semble se délecter de la crise qu’ils traversent.

Après dix ans de mariage, dix ans à se partager la salle de bains matin et soir, ils croient avoir tout vu l’un de l’autre, et soudain Ebba découvre une facette de son mari qu’elle ignorait : l’égoïste qui se sauve d’abord, laissant sa famille en arrière ; le lâche qui n’assume pas ses actes. Mais il faut pourtant encore partager la salle de bains, comme avant. Tomas, bien sûr, souffre également de découvrir l’homme qu’il est devenu – en témoigne son déni. Incapable d’aborder le problème en tête-à-tête, c’est devant leurs amis pour le moins mal à l’aise, que le couple se livre. Quant aux enfants, ils restent le plus souvent muets. Ils permettent parfois d’apaiser les crises, mais à de nombreuses reprises, ils apparaissent comme une gêne pour leurs parents : la Snow Therapy est une thérapie de couple, plus qu’une thérapie familiale.

snow therapy Ebba Tomas

Le Q&A  était très centré, et à juste titre, sur la notion de genre et des attentes différentes attachées à l’homme et à la femme : on attend de l’homme qu’il soit un héros, qu’il protège sa famille, et il ne peut pas perdre la face en avouant qu’il a failli. On attend aussi que la femme reste avec ses enfants : il aurait été tout simplement impensable que ce soit Ebba qui parte en courant. Le spectateur en aurait déduit qu’elle n’aimait pas ses enfants, que c’était une mère indigne, alors que ce n’est pas la conclusion que l’on tire de la réaction du père. Ce qui fait réfléchir.

En dépit du fameux « Les femmes et les enfants d’abord », il s’avère que lors de catastrophes, il y a un plus fort taux de survie chez les hommes que chez les femmes car leur instinct de conservation prime sur tout le reste. Il y a aussi une augmentation des divorces parmi les survivants de naufrages ou de crashs… Ce sont ces données que Ruben Östlund a voulu explorer, en nous proposant ce qui ressemble presque à une expérience de psychologie : placer une famille normale (plutôt heureuse, mais pas la famille parfaite non plus) dans un environnement stérile (montagne blanche, chambre d’hôtel aseptisée), simuler une catastrophe et voir ce qui se passe.

snow therapy rencontre

L’actu du film : Snow Therapy fait pour l’instant partie des 9 films (sur 83) encore en lice pour les Oscars dans la catégorie Meilleur film étranger. Rendez-vous le 15 janvier pour savoir s’il sera dans le top 5 final !

Snow Therapy (Force majeure), de Ruben Östlund. 1h58.

En salles le 28 janvier 2015.

 Par Lisa

A propos Lisa Roche 13 Articles
Passionnée de littérature et de cinéma, Lisa travaille dans l'édition.

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