Tale of tales, un film baroque flamboyant mais inégal

Matteo Garrone est un cinéaste italien, habitué des plateaux et des prix. En 2008, il tourne Gomorra, qui a obtenu le Grand Prix du Festival de Cannes, six European Film Awards et le Silver Hugo du Meilleur Scénario au Festival de Chicago, en plus d’être nommé l’année suivante aux Bafta, aux César et aux Golden Globes. L’année 2015 le voit revenir au cinéma avec Tale of Tales, adaptation du recueil éponyme de contes de Giambattista Basile, le plus ancien, le plus riche et le plus artistique des livres de contes populaires italiens.

Lo cunto de li cunti rassemble cinquante contes : quarante-neuf contes introduit par un cinquantième qui leur sert de cadre et dans lequel un groupe de personnes, durant cinq journées, est amené à se raconter des histoires. Pour les biens du film, Matteo Garrone et son équipe ont choisi trois contes (La Reine, La Puce et Les Deux vieilles) qu’ils appréciaient, dont ils ont entremêlé les histoires, sans toutefois leur donner plus qu’un lien ténu.
Tale of Tales raconte donc parallèlement trois histoires, se déroulant dans trois royaumes voisins. À Selvascura, la reine (interprétée par Salma Hayek) désespère d’avoir un enfant. Le roi (John C. Reilly) fait venir un nécromancien, qui leur donne la recette magique : il faut tuer un monstre marin, en faire cuisiner le cœur par une vierge seule dans la cuisine et le donner à manger à la reine, ce que le couple va s’empresser de faire, au mépris des conséquences. De cette manipulation magique naîtront des jumeaux (Christian et Jonah Lees) : le fils de la servante et celui de la reine, au grand dam de cette dernière qui voit le lien entre les deux enfants s’affermir d’année en année – très certainement la meilleure des trois histoires. À Roccaforte, le roi (Vincent Cassel) est un libertin accompli qui passe ses nuits et journées en orgies dantesques. Un beau matin, il entend chanter une femme (Hayley Carmichael) dont la voix cristalline l’obsède ; il ignore qu’il s’agit d’une vieille pauvresse et la courtise tant qu’il peut. Celle-ci, aidée de sa sœur (Shirley Henderson), tente de se rendre présentable pour la nuit qu’elle a accepté de passer au château, dans l’obscurité la plus complète. Mais le roi trahit son serment et, à la lueur d’une bougie, s’aperçoit de la méprise : il fait jeter la vieille femme par la fenêtre. Elle tombe dans la forêt, où une sorcière lui rend l’apparence d’une belle jouvencelle… apte à faire tourner la tête du libertin. À Altomonte, le roi (Toby Jones) recueille une puce qu’il nourrit secrètement jusqu’à ce qu’elle atteigne la taille d’un Saint-Bernard. L’animal retient toute son attention tandis qu’il délaisse sa fille (Bebe Cave), qui rêve de se marier. Peu désireux de se séparer de sa progéniture, le roi organise une épreuve au cours de laquelle les gentilshommes alentours pourront se disputer la main de sa fille. Épreuve qu’il pense être irréalisable… mais qu’un ogre (Guillaume Delaunay) réussit haut la main.

Tale of tales, Matteo Garrone,

Les contes de Giambattista Basile sont des contes populaires : à ce titre, inutile d’attendre une œuvre bon enfant, façon contes revisités de Disney. Matteo Garrone a préservé toute l’ambiance de ces contes qui, à l’origine, n’étaient pas nécessairement destinés aux plus jeunes. Le film flirte donc allègrement avec les frontières du fantastique et de l’horreur – voire du gore sur certains plans. Et tout est fait dans la plastique du film pour recréer cette ambiance baroque : les décors sont somptueux, les costumes fabuleux, les scènes chargées de tension et de non-dits. D’ailleurs, il y a fort peu de dialogues dans le film : tout est laissé à la bonne compréhension du spectateur. Et, étonnamment, c’est un film extrêmement bavard. Car pour bien installer cette ambiance à la limite entre onirisme et horreur, Matteo Garrone a choisi de multiplier les plans très longs : paysages sublimes et inquiétants, vues suggestives, ou actions prenant un temps infini sont légion. On y gagne en ambiance ce que l’on perd en dynamisme, malheureusement. Par moments, c’est même excessivement long.
Néanmoins, le fait d’alterner les trois histoires permet de conserver un peu de suspens car, sitôt le plan terminé, on se prend à se demander comment l’affaire va tourner pour les personnages que l’on vient de quitter.
Trois histoires donc, et au centre de chacune, une femme (voire deux). Ce qui est intéressant, c’est que les contes restent très modernes, bien qu’ils datent du XVIIe siècle. Au gré des trois histoires, c’est la question de la maternité, des apparences et de la violence du passage de l’enfance à l’âge adulte qui sont questionnés.

En somme, Tale of Tales est un film un peu inégal. L’esthétique générale du film, porté par une photographie sublime et marquante ainsi qu’une musique envoûtante, l’ambiance fantastique et baroque sont très réussies. Mais cet effet d’ensemble est obtenu au prix de longueurs dont on se serait bien passés qui plombent les trois histoires. À voir pour l’intéressant travail d’adaptation !

Tale of tales, Matteo Garrone. En salles le 1er juillet. 

A propos Oihana 710 Articles
Lectrice assidue depuis son plus jeune âge, Oihana apprécie autant de plonger dans un univers romanesque, que les longues balades au soleil. Après des études littéraires, elle est revenue vers ses premières amours, et se destine aux métiers du livre.

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