Amanda Hodgkinson, l’auteur de Rose et ses sœurs à Paris : j’y étais

Rose et ses sœurs, Amanda Hodgkinson, Belfond

Quand je l’ai rencontrée, Amanda Hodgkinson arrivait au terme de deux jours d’interviews à l’occasion de la sortie de son roman Rose et ses sœurs chez Belfond. Élégante Anglaise dans sa robe à fleurs, chaleureuse et attentive, l’écrivain était assise au fond d’un café de la Rive gauche. Son excellent français lui a évité d’avoir affaire à mon anglais chaotique et c’est autour d’une nice cup of tea que nous avons parlé de son deuxième roman : une fresque familiale inscrite dans le 20e siècle, sous un titre aux accents d’un film de Sautet.

Rose et ses sœurs, c’est l’histoire de trois générations de femmes de la famille Marsh dans une Angleterre transformée par deux guerres mondiales. Le roman commence en 1912 : Rose et ses jeunes sœurs qu’elle a élevées à la mort de leurs parents, vivent isolées dans un cottage du Suffolk non loin de la rivière Little River. À la fin du premier chapitre, tout bascule : une crue dévaste la campagne, Rose meurt, laissant Vivian et Nellie orphelines et Joe Ferier, un saisonnier qui parle de voyage et de transatlantique, plante sa tente au bord de la rivière…

Rose et ses sœurs, Amanda Hodgkinson, Belfond
Source : Belfond

Des révélations

Dès les premières pages, Amanda Hodgkinson affirme sa maîtrise de la narration en prenant le risque de faire disparaître Rose, celle qui donne son titre au roman, puis très vite, de révéler les secrets et les silences de la petite communauté rurale. Une prise de risque que l’auteur explique par une exigence de sincérité vis-à-vis de ses lecteurs : loin des procédés convenus cherchant à produire une émotion calculée, elle dévoile très vite certains éléments qui resteront ignorés des personnages. Ces derniers sont assez importants et assez intéressants pour ne pas avoir besoin d’artifices narratifs : ils sont d’autant plus intéressants que les lecteurs connaissent leurs mystères et leurs failles.

— Je n’aime pas cacher des choses au lecteur, précise l’écrivain.

Une filiation prestigieuse

Au fil de la lecture, impossible de ne pas penser à Jane Austen, Tchékhov et ses trois sœurs ou encore aux quatre soeurs de Louisa May Alcott, bien que l’orthographe des filles du Docteur March les différencie évidemment des sœurs Marsh de ce roman, dont le nom de famille signifie « marais ».  Les thématiques du livre le placent dans la lignée de ses grands prédécesseurs en littérature : la complexité des relations humaines, l’importance du travail, ou encore la condition des femmes. Le tout sur fond de Grande Histoire.

— Je ne crois pas que j’avais ces auteurs en tête, dit Amanda Hodgkinson, bien sûr je les ai lus, – elle marque un temps-, mais si ça suit cette tradition-là… ce n’est pas mal ! Je voulais faire un livre vraiment intime sur la vie des gens et mais qui parle en même temps de choses plus grandes.

Et si le roman renvoie à ces illustres prédécesseurs, c’est sans doute qu’il se situe dans cette tradition classique de récit-portrait d’une époque, déroulant l’Histoire sur trois quarts de siècle.

Une saga dirigée par les personnages

Devant cette construction ambitieuse et réussie, la question se pose de savoir comment on parvient à écrire un tel livre : se concentre-t-on sur les personnages ou sur l’intrigue ?

— J’avais les deux, répond l’auteur, j’avais une idée de où je voulais aller et les personnages me dirigeaient aussi. Je pense beaucoup à mes personnages. J’écris des scènes, je vois comment ils pensent. Je prends beaucoup de notes. Des pages et des pages de notes …

Que je ne relis jamais, rit Amanda Hodgkinson.

Ensuite arrive un moment, que l’auteur ne s’explique pas, où les personnages deviennent de « vrais gens ». Serait-ce la magie de la création ? Amanda Hodgkinson sourit.

— Peut-être. Je sais quand je suis arrivée là. Tout est plus facile après ça. C’est magique, un peu comme quand on apprend à nager, confie l’auteur qui me confirme ensuite qu’elle adore nager.

En particulier dans les rivières… Amanda Hodgkinson connait bien cette région de l’Angleterre, elle a vécu dans ces campagnes dont elle décrit les paysages avec sensibilité. À la question avez-vous fait beaucoup de recherches, sa réponse est oui. Sur l’Histoire, l’adoption, le folklore, la condition des femmes, des hommes, les effets des guerres, les changements culturels, sociaux et économiques ….

— Mais, que des choses qui m’intéressent, précise l’auteur en souriant à nouveau.

Rose et ses sœurs, Amanda Hodgkinson, Belfond

De la poésie au best-seller

Comment Amanda Hodgkinson en est-elle venue à écrire des best-sellers, son premier roman étant dès sa sortie un succès en Angleterre et le deuxième s’annonçant tout aussi auréolé de gloire ?

— J’ai beaucoup travaillé, dit-elle.

Après des études en littérature, histoire et philosophie, elle a suivi un Master en Créative Writing à East Anglia (une des formations les plus sélectives et reconnues dans ce domaine)

— J’ai commencé avec la poésie et j’adore toujours la poésie.

Retrouve-t-on trace de ses premières amours en écriture dans ce livre d’un certain Pound que lit Joe Ferier au bord de la rivière ? Ainsi, à deux ou trois moments du roman, l’auteur se devine, à petites touches, comme dans cette réflexion d’un des personnages sur l’idée de raconter des histoires et sur la place de la fiction dans ses propres souvenirs. Une des facettes en miroir de l’écrivain pourrait aussi être cet universitaire qui vient interviewer les petits vieux pour un livre qu’il est en train d’écrire.

De fortes femmes

Même si il y a de nombreux personnages masculins dans le texte, il s’agit d’un roman féminin presque féministe. Militantes si on considère leur engagement, leur volonté de n’être pas uniquement le contrepoids d’hommes socialement dominants et de s’affranchir du regard des autres ou du poids de l’héritage familial, les femmes dessinent les lignes de force du roman.

— Mais les hommes sont les catalyseurs pour beaucoup de choses, s’amuse l’auteur, qui s’est aussi intéressé au folklore et aux superstitions, des choses qui se transmettent de mère en fille.

Une croyance peut nous donner un pouvoir, ajoute-elle.

Issu de ces traditions, un zeste de réalisme magique perce de-ci de-là sous la forme d’une pierre trouée ou de recettes de bonne femme. On pense alors à d’autres personnages de littérature, où des femmes fortes croient aux signes et aux superstitions, comme chez Marie NDiaye ou Carole Martinez.

Et au milieu coule une rivière

Il faut terminer par la rivière : épicentre du roman, elle s’impose comme un véritable personnage, symbolique d’une nature fusionnelle et sensuelle.  Empruntant aux mythes de la vie, de la purification, de la fécondité ou encore de l’engloutissement, l’eau entraîne les personnages à la recherche d’eux-mêmes, reflet de leurs tourments, illusions ou espoirs.

Nous sommes tous des enfants de la rivière, dit un des membres de la famille Marsch dont la marque de fabrique est la couleur de ses yeux, gris comme des eaux gonflées de pluie.

À l’image de la rivière, ce roman emporte. Fluide, violent, rythmé, imprévisible … Le lecteur plonge dans cette saga, invité par des personnages qui deviennent presque sa famille. Une famille de bric et de broc, et il fallait les aimer pour cela, disent les premières lignes du roman. Une famille dont l’histoire se raconte sous des angles différents, comme des points de vue sur un même paysage. « À un moment, ça doit être raconté par l’une ou l’autre. Je le sens », dit Amanda Hodgkinson : un instinct d’écrivain qui donne sa puissance à ce roman que l’on voudrait ne jamais terminer, et qui est la marque d’un auteur à suivre.

Un grand merci à Amanda Hodgkinson pour cet entretien.

Rose et ses sœurs, Amanda Hodgkinson. Belfond, 2015. Traduit de l’anglais par Marieke Merand-Surtel.

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