Jack Holmes et son ami croquent la grosse pomme

ROMAN NEW-YORKAIS — Ils sont jeunes, ambitieux, et prêts à croquer la grosse pomme : Jack Holmes et Will Wright débarquent à New York dans les années 1960, et sont embauchés dans la même revue culturelle. Dans le tourbillon du New York des sixties, Jack et Will deviennent amis. Mais Jack tombe rapidement sous le charme de Will, se découvre amoureux, et n’hésite pas à le lui dire. Éconduit, il restera pourtant ami avec Will pendant de nombreuses années.

Jack ouvre le récit : il se cherche. Dans une Amérique condamnant encore l’homosexualité, Jack rejette dans un premier temps ses désirs, allant même jusqu’à suivre des thérapies. Il envisage son attirance pour les hommes comme une passade, semble au début se laisser faire, être attiré de manière inconsciente par les hommes. Il n’y a pas vraiment de coming out : Jack vient progressivement à reconnaître son penchant pour les hommes. Will, à ses yeux, incarne l’insaisissable, l’impossible, car il est rigoureusement hétérosexuel : Jack ne l’aura jamais. Il est intéressant de constater que même si Jack aime Will, il ne l’idéalise pas, et ne nous épargne rien de ses défauts, de sa peau grêlée par l’acné à ses vêtements élimés, en passant par son appartement crasseux de célibataire. A l’époque, Jack sait qu’en confiant son amour à Will, il se met potentiellement en danger : si Will parle, c’est l’opprobre, peut-être même le licenciement. Au fil des pages, et des années, la perception de l’homosexualité évolue, devient socialement acceptable au fur et à mesure que l’on se rapproche des années 80.

Jack Holmes et son ami, Edmund White, 10/18

Edmund White donne finalement la parole à Will, qui s’adresse au lecteur à la première personne du singulier, quand Jack devait se contenter de la troisième. Le Will charmant, bon collègue, bon ami, perçu par Jack se mue en un homme désagréable, manipulateur, et malhonnête, vaguement cynique, qui n’hésite pas à utiliser l’amitié que lui voue Jack pour lui demander de couvrir ses infidélités répétées. Devenu époux et père de famille (c’est Jack lui-même qui a présenté sa future femme à Will), Will perd toute la sympathie que le lecteur lui avait accordé en le découvrant sous les traits de l’ami de Jack. Il semble se caractériser par son manque de courage, par la lâcheté dont il fait preuve en menant une double vie, par sa volonté d’enterrer son passé d’auteur, son roman ayant été laminé par un critique, et n’ayant pas rencontre le succès. Plutôt que de persévérer, il préfère abandonner. Le lecteur est soulagé quand Jack reprend la parole.

Le temps passe pour nos deux personnages : la vie que mène Jack à la fin du roman ne ressemble probablement pas à celle qu’il imaginait quand il était étudiant à l’université à la fin des années 50. Tout a changé, et si l’aspect historique du roman est somme tout discret, il est bien présent. L’évolution sociale, le changement des mœurs, la liberté sexuelle sont somme toute au cœur de ce récit touchant à bien des égards, qui nous conte une histoire d’amour à sens unique devenu une amitié qui l’est finalement tout autant…

Jack Holmes et son ami, Edmund White. 10/18, 2015. Traduit de l’anglais par Céline Leroy.

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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