Mon cher stagiaire : l’empire des sens au pays des bulles

Mon cher stagiaire, Anouk Laclos, Calmann-Lévy

ROMAN ÉROTIQUE — Depuis Fifty Shades of Grey et ses avatars, le roman d’apprentissage sensuel se porte bien et l’écriture de la sensualité ne se cache plus au fond des sacs de ces dames. Bien au contraire, elle s’assume. Dès sa couverture en noir et blanc griffée de fushia, le ton du roman Mon cher stagiaire d’Anouk Laclos est donné : il évoque et anticipe le plaisir à venir, – de lecture évidemment –, avec un bel Apollon offrant sa bouche pulpeuse et ôtant sa cravate pour le plus grand bonheur des lectrices. Mais s’il s’inscrit dans une tendance très actuelle de roman à saveur érotique, ce roman s’en distingue par un vrai parti-pris : une héroïne attachante (sans jeu de mots), qui s’avère surtout être une vraie femme et non une petite chose fragile aux mains d’hommes dominateurs. Édité chez Calmann-Levy qui n’a pas pour habitude de faire dans le déshabillé léger, ce roman de la rédécouverte des sens est aussi une incursion sociale, économique et féministe dans le milieu du champagne.

Une femme d’affaire

Jolie veuve quarantenaire, Anouk, en héritant des parts de son défunt mari dans la société familiale, est devenue l’actionnaire majoritaire des champagnes Van Styn. Cette majorité déplait évidemment dans cet univers où être une femme se tolère si on est née sur le bon coteau et que l’on a le bon goût de l’apporter en dot. N’étant pas du sérail, l’ancienne directrice marketing devenue PDG, va se heurter à sa belle-famille et l’on sait en littérature depuis Balzac combien les milieux sociaux cultivent l’entre-soi et détestent les intrus, naturellement soupçonnés d’ambitions et de vils desseins.
Mais, bien qu’encore fragile affectivement, notre héroïne n’est pas du genre à se laisser marcher sur les pieds. Déjouant les pièges et les ambitions cachées, elle va se battre contre des tentatives plus ou moins masquées d’OPA et s’armer pour faire face à des jeux d’alliances visant à l’évincer le plus définitivement possible. Pour lui venir en aide, elle ne peut compter que sur une fidèle assistante et un jeune stagiaire… qui s’avère être son preux chevalier dès les premières pages du roman.

Un récit de maturation

Légitimité, identité et féminité sont les thèmes qui sous-tendent le roman et lui donnent sa profondeur : sous une apparence de comédie de mœurs au pays des bulles, se dessine en réalité le destin d’une femme, qui, après un évènement tragique, remet son existence en perspective et cherche un nouveau sens à sa vie. Anouk évolue au fil des évènements, qui sont autant de nouvelles épreuves à affronter que de transformations ou de maturations pour atteindre son but.
Au début du roman, elle est en deuil. Ainsi après plusieurs années de mariage puis de lutte contre la maladie aux côtés de son mari, il s’agit pour elle de se reconstruire et de revivre. Il faut ici souligner la délicatesse de l’auteur qui réussit à traduire le long parcours que représente le deuil, de la colère à l’acceptation, en égrenant de discrets souvenirs du mari sous forme d’images comme des flashs au milieu du présent.
Anouk a désormais une position à affirmer mais aussi un statut dans cet univers champenois où le masculin domine, qu’il soit héritier, propriétaire ou vigneron. Ele n’est plus « la femme de », mais une femme libre, indépendante d’esprit et de corps, qui s’assume et décide de sa vie.

Mon cher stagiaire, Anouk Laclos, Calmann-Lévy

Une quête de sens

L’originalité et la qualité du roman viennent d’une alliance subtile entre l’observation et le rendu minutieux d’un milieu spécifique, celui du luxe et du champagne, et l’émotion du récit dans la quête de cette femme pour reprendre possession de sa vie mais aussi de son corps…
Ainsi on suivra les péripéties de la lutte de pouvoir au sein de l’entreprise, les prises de décisions et les dissensions quant à l’orientation de l’activité et des marchés à gagner. Mais on verra surtout une nouvelle femme naître, petit à petit s’affirmer, se positionner et conquérir respect et admiration, autant pour la femme d’affaire que pour la femme tout court.
Car dans ce nouvel élan de vie, Anouk redécouvre au passage sa féminité, ses sensations et de ses émotions. Appliquant le principe d’un esprit sain dans un corps sain, Anouk entreprend, parfois malgré elle, de réveiller son corps endormi. Cette renaissance se fera par étapes, savamment dosées au cours du roman, et avec l’aide d’adjuvants tels un masseur, une interprète, un bel étranger et évidemment un stagiaire…
L’auteur joue finement avec le réveil progressif des sens de l’héroïne, titillant au passage ceux de son lectorat très vite embarqué dans des expériences aussi sensuelles que dépaysantes. Les chapitres érotiques sont courts, bien placés, rythmant le roman et les étapes de transformation d’Anouk. Pour finalement la mener face à elle-même.

Un mummy porn de bonne famille

Bien mené, le roman joue avec intelligence sur les procédés d’une littérature efficace, qui emprunte parfois aux codes de la romance : narration au « je » qui implique fortement le lecteur, construction rigoureuse, intrigue soutenue, rebondissements, fausses pistes et suspense, personnages forts dont les faiblesses nous sont familières, univers de rêve, sans oublier l’usage régulier de pensées intérieures, souvenirs, sentiments et émotions. Le tout saupoudré de moments de sensualité dans un dosage équilibré qui relance l’action …
L’humour est présent aussi, voir la scène à l’hôtel avec l’ex-copain de lycée pour un moment d’anthologie qui parlera à toutes les femmes ! Et l’on devine avec cette scène tout le potentiel d’autodérision qui se cache sous la douce Anouk et son auteur.
La fin ouvre sur l’avenir, avec un petit coté Mange prie aime de bon aloi, qui donne une saveur nouvelle à ce mummy porn de bonne famille et de bon goût.

Avec Mon beau stagiaire, Anouk Laclos mélange judicieusement univers luxueux, séduction, élégance, féminisme et quête de sens pour composer un roman « à la française ». L’impression générale est que l’auteur maîtrise son récit avec brio et le livre se lit avec fluidité. Une fois refermé, il ne restera peut-être pas dans les mémoires, mais on retiendra un agréable roman à la gloire d’une femme libre, avec ce qu’il faut de sensibilité et de gravité pour parler de vie, de mort ou de sexualité. Et on le prêtera à ses copines parce que finalement, on n’est jamais assez libérée !

Mon cher stagiaire, Anouk Laclos. Calmann-Lévy, juin 2016.

Par Isabelle

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