Une fable irlandaise sur le deuil et la reconstruction : Nora Webster

ROMAN CONTEMPORAIN — À 46 ans, Nora Webster vient de perdre Maurice, son mari, et vit seule à Enniscorty en Irlande avec deux de ses quatre enfants : Donal et Connor. Être une veuve à la fin des années 60 n’est pas de tout repos, et Nora va devoir affronter les regards de pitié, les problèmes financiers ainsi que sa propre famille. Commence alors un long voyage d’introspection pour faire face au deuil.

Colm Tóibín nous revient donc avec un nouveau roman aux accents psychologiques qui, à l’instar de Brooklyn, nous plonge dans la culture irlandaise. Mais cette fois-ci, l’héroïne ne quittera pas son pays natal et naviguera seulement entre Enniscorty, Dublin et Rosslare. Comme à son habitude, l’auteur nous laisse découvrir un destin de femme sans tomber ni dans le pathos ni dans la niaiserie. Le parcours de Nora Webster est dur, semé d’embûches et elle-même s’avère parfois un personnage ambivalent au caractère changeant.

La principale difficulté dans l’existence de Nora est la reconstruction de sa vie tout en s’occupant de ses quatre enfants. Elle qui a presque toujours vécu dans l’ombre de son mari charismatique a du mal à trouver un équilibre dans la solitude. Pourtant, elle doit bien vite prendre de lourdes décisions comme la vente de la maison de vacances. Plus le roman avance, plus Nora réapprend à vivre pour elle-même et à faire des choix qui lui ressemblent en faisant fi des regards et de l’hypocrisie. Elle sera d’ailleurs bien souvent jugée sur ses actes, autant par ses proches que par de vagues voisins.

Nora Webster, Colm Tóibín, Robert Laffont

Plus qu’un simple portrait, Nora Webster est aussi une ode à la liberté d’être et de penser. On y découvre également en trame de fond les affrontements qui débutent en Irlande du Nord et qu’on appellera plus tard « Les Troubles ». Ainsi, dès les années 60, la minorité catholique s’oppose à la ségrégation confessionnelle qu’elle subit. Des années de guerre suivront entre les nationalistes réclamant une république irlandaise, et les unionistes, pour une autorité britannique. Le mari de Nora ayant été très actif en politique, on suit les prémices du conflit du point de vue des proches de Nora qui sont des Irlandais du Sud et n’ont finalement que peu d’impact et de prise sur ce qui se passe chez leurs voisins. Cela reste néanmoins intéressant et permet de mieux comprendre le ressentiment des Irlandais contre les Anglais.

Nora Webster est donc essentiellement un roman psychologique, entaché parfois par quelques longueurs. L’émancipation de Nora est lente et certaines décisions mettent des dizaines de pages à aboutir. De plus, on s’attache difficilement à cette femme distante et renfermée qui ne laisse que peu de place à ses émotions. Néanmoins, on souhaite découvrir jusqu’au bout le cheminement de ce personnage atypique qui tend à être autre chose que « la femme de Maurice » et redevenir une personne à part entière.

Ce roman n’en reste pas moins un beau récit porté par une jolie plume. Il est intéressant de noter que l’auteur s’est largement inspiré de sa mère pour créer Nora. L’attachement qu’il a envers elle se ressent à travers la lecture et permet de s’y plonger jusqu’au bout malgré la lenteur du rythme. De plus, les amoureux de l’Irlande savoureront les descriptions de bord de mer, l’ambiance chaude des pubs ou encore l’étonnante bienveillance de certains personnages.

Nora Webster, Colm Tóibín. Robert Laffont, août 2016. Traduit de l’anglais par Anna Gibson.

Par Kevane Saefiel

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