Water Knife : la guerre pour l’or bleu

Water Knife, Paolo Bacigalupi, Au Diable Vauvert,

THRILLER SCIENCE-FICTION — De Paolo Bacigalupi, nous avions adoré Zombie Ball, La Fabrique de doute et l’excellent recueil de nouvelles La Fille-Flûte. Celui, d’ailleurs, contient une nouvelle en rapport avec le dernier titre en date de l’auteur américain. Dans « Le Chasseur de tamaris », on évolue dans une Amérique frappée par une incroyable sécheresse et où l’on arrache les tamaris plantés près du Colorado, en raison de l’énorme quantité d’eau qu’ils demandent. Une situation que l’on retrouve dans Water Knife.

L’Amérique souffre de la soif et d’une horrible sécheresse. Les fleuves sont devenus des points stratégiques et on s’arrache les droits ancestraux sur l’eau. Angel Velasquez est à la fois détective, assassin et espion pour le compte de Catherine Case, laquelle règne sur le sud du Nevada et Las Vegas. Sur les ordres de sa patronne, il coupe l’eau dans les villes qui ne disposent pas de droits suffisamment bien établis et condamne à la mort des milliers de personnes, pour assurer la survie des arcologies construites par les groupes les plus riches. Lorsque remonte à la surface une rumeur concernant une nouvelle source, Angel gagne la ville dévastée de Phoenix pour mettre la main sur les droits à l’eau qui assurerait définitivement la survie de Las Vegas – et, au passage, la sienne.
Mais ces droits potentiels déchaînent les passions, petites ou grandes. Angel va se retrouver en compétition avec les personnes les plus diverses, et pas les moins dangereuses : des patrons de puissants lobbies à une journaliste endurcie, en passant par une jeune migrante texane qui essaie de s’en sortir par tous les moyens…

Water Knife, Paolo Bacigalupi, Au Diable Vauvert,

Si vous avez lu La Fille-flûte, vous retrouverez l’ambiance un tantinet angoissante du « Chasseur de tamaris » – mais si vous ne l’avez pas lu, pas de panique : les deux écrits sont indépendants l’un de l’autre. Le départ peut sembler un peu nébuleux : il faut se faire à la nouvelle organisation américaine, désormais constituée de cités-états toutes puissantes, contre des zones dévastées. Les plus riches peuvent se permettre d’habiter les arcologies des grandes entreprises alors que les plus pauvres s’entassent dans des bidonvilles miteux. Les Texans, issus d’une des régions les plus dévastées sont, peu ou prou, la lie de l’humanité.

Là-dedans, Paolo Bacigalupi installe assez vite un triangle de personnages qui vont se rencontrer dans le mouchoir de poche (à l’échelle du reste) qu’est la ville de Phoenix : Angel, le water knife de Catherine Case ; Lucy, la journaliste primée qui couvre avec acharnement tous les aspects de la déchéance de Phoenix, au risque de mettre sa vie en danger ; Maria, la jeune immigrée texane qui tente de tirer son épingle du jeu en exploitant au mieux les maigres ressources qu’elle trouve. Rapidement, on intègre les problématiques que chacun rencontre : Lucy doit informer, mais pas trop, Maria risque de mourir à chaque coin de rue et Angel, de son côté, côtoie la pègre, les milices, les flics et toute personne armée, et de préférence dangereuse, qui traîne. Le panel est donc assez large et nous permet de mieux appréhender ce qui se joue dans cet univers post-apocalyptique et qui ne fait pas vraiment envie.

Les préoccupations environnementales sont, en effet, au centre du propos et, en lisant le roman, on ne peut s’empêcher de se demander comment on s’en sortirait dans des conditions similaires ; l’eau potable, devenue denrée rare, fait ressortir le pire de l’humanité et nous montre une société dont la déchéance semble plus qu’annoncée – et, pire, impossible à enrayer. Les réfugiés climatiques affluent de partout, tentant d’échapper à leurs déserts pour en trouver des plus vivables. Une fois qu’ils y sont, les risques de finir au fond d’une piscine vide avec une balle dans le front sont tellement élevés que les migrants n’ont quasiment aucune chance de s’en sortir.
Paolo Bacigalupi décrit une société fracturée : d’un côté, les paradisiaques arcologies alignant eau douce (et douches !) à volonté, air filtré et déco soignée et, de l’autre, l’enfer caniculaire des villes ensablées où l’eau est distribuée à prix d’or par les pompes de secours de la Croix Rouge et où les quartiers sont gérés par les parrains locaux, aux mœurs plus que sanglantes.

L’intrigue parvient à jouer à la fois sur le tableau du thriller (puisque l’eau déchaîne les passions) et de l’anticipation, celle-ci étant particulièrement réussie. De fait, le roman est extrêmement prenant et, si angoissant soit-il, on ne peut que s’immerger dans cet ouest américain dévasté, tout en réfléchissant à ce qui nous pend au nez. C’est sans doute pour cette raison que le roman a cette petite touche angoissante difficile à ignorer.

Ouvrir un roman de Paolo Bacigalupi, c’est souvent plonger dans des univers dont il étudie les petits travers de façon extrêmement précise. Water Knife ne fait pas exception à la règle : le texte est ciselé, l’intrigue palpitante et le tout soulève des questions de fonds passionnantes et qu’il est urgent de se poser. On recommande plus que chaudement !

Water Knife, Paolo Bacigalupi. Au Diable Vauvert, 27 octobre 2016. Traduit de l’anglais par Sara Doke.

A propos Oihana 710 Articles
Lectrice assidue depuis son plus jeune âge, Oihana apprécie autant de plonger dans un univers romanesque, que les longues balades au soleil. Après des études littéraires, elle est revenue vers ses premières amours, et se destine aux métiers du livre.

1 Commentaire

  1. Je l’ai offert à mon mari à sa sortie et il avait été enchanté par sa lecture. Du coup je l’ai mis dans ma pile, même si je ne suis pas une habituée de ce genre littéraire. Avec cet autre avis positif, j’ai hâte !

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