Rencontre avec Sarah Dessen, la reine du roman YA !

Sarah Dessen

INTERVIEW – Sarah Dessen était présente au Salon du Livre de Paris et nous avons eu la chance de pouvoir la rencontrer, pour parler de son dernier roman, Once and for all, paru aux éditions Lumen.

Attention, l’interview suivante est susceptible de contenir quelques spoilers sur l’intrigue.

Café Powell : Bonjour Sarah Dessen ! Votre roman Once and for all vient de paraître en France ; merci de nous recevoir pour en parler !

Sarah Dessen : Bonjour !

C.P. : vous écrivez surtout des romances, en tout cas dans ce qui nous est parvenu en France et nous aimerions savoir ce qui vous attire particulièrement dans le genre.

S.D. : j’écris des romances parce que c’est le plus amusant, le plus agréable. Personnellement, j’ai rencontré mon mari lorsque j’avais 16 ans, j’étais au lycée, j’étais une adolescente, une jeune fille, donc. Et ce qui est aussi agréable quand on écrit des romances, c’est qu’on a la possibilité de tomber amoureux, à l’intérieur de ses propres livres. Sans faire de bêtises, bien sûr, car on ne peut pas dire qu’on trouvera notre mari avec les personnages du livre ! Mais ce que j’aime à propos des sujets principaux qu’on trouve dans mes livres, c’est-à-dire l’amour, la famille, l’amitié, c’est que ce sont des sujets que l’on peut traiter de tellement de manières différentes ! C’est un matériau inépuisable !

C.P. : on va maintenant rentrer directement dans le vif du sujet. Once and for all traite d’un sujet vraiment d’actualité aux États-Unis, mais qui est aussi extrêmement choquant pour un public français ; avez-vous un message à faire passer à vos lecteurs ?

S.D. : j’essaie de ne pas penser en termes de message. Je pense qu’il ne faut pas parler au lecteur en termes de messages ou de morales. Mais je savais que je voulais parler de la perte, je voulais que Louna ait donc perdu son premier amour, mais je voulais aussi parler de ce que c’est « être un adolescent aux États-Unis aujourd’hui ». Quand moi j’étais étudiante, ce n’était pas le cas, on avait beaucoup moins ce genre d’échos aux actualités, par exemple ce qu’il s’est passé en Floride récemment. Ce sont des choses terribles, terrifiantes, immensément tristes, mais je voulais vraiment toucher à la réalité des adolescents aujourd’hui. Par exemple, dans toutes les écoles, ils font des exercices pour apprendre à se protéger en cas d’attaque. Ma fille a 10 ans et dans son école, ils font des exercices comme ça : ils apprennent à se cacher sous le bureau, alors qu’elle ne comprend même pas vraiment ce que c’est et pourquoi ils font ça. Et pour moi c’était un peu des deux : c’était une façon pour moi de faire passer un message mais, avant tout, de pouvoir parler de la réalité des jeunes aujourd’hui.
Je veux juste ajouter à ce propos : c’est vraiment intéressant que chaque personne présente aujourd’hui m’ait posé la question à propos de la fusillade parce que, et je le jure, personne ne m’a posé de question sur ça aux États-Unis. Je pense que c’est parce que c’est une chose à laquelle on s’attend beaucoup plus aux États-Unis désormais.

C.P. : en effet, quand j’ai lu le livre, en terminant, je me suis rendue compte qu’à aucun moment un personnage ne dit « Mince, mais c’est horrible ce qu’il se passe dans ce pays, ça devrait pas se passer comme ça. » Et je pense que si ça avait été la même histoire, mais dans un roman de littérature jeunesse française, il y aurait eu, à un moment, un passage montrant que non, effectivement, on ne peut pas vivre comme cela. Et alors que j’en discutais avec une amie, fine connaisseuse des États-Unis, elle a fini par me dire « Mais c’est devenu tellement habituel là-bas, c’est comme si ici on parlait d’un accident de la route ».

S.D. : Oui, et c’est vraiment triste que ce soit une réalité aux États-Unis.

C.P. : mais malgré tout, j’ai trouvé que les deux thèmes choisis, pourtant aux antipodes l’un de l’autre, se marient vraiment bien et je voulais savoir comment vous avez choisi ces deux thèmes, comment vous en êtes arrivée à parler des mariages et des fusillades ?

S.D. : En fait, à propos du mariage, j’avais deux baby-sitters, puisque ma fille a 10 ans, et ces deux baby-sitters étaient toutes les deux en train d’organiser leurs mariages. Ce sont deux personnes très différentes et elles voulaient deux mariages complètement différents. Mais parler avec elles m’a permis de comprendre toute la folie qui a lieu lorsqu’on parle d’organisation de mariage et à quel point elles étaient complètement empêtrées dans ces organisations. Et même si elles étaient complètement différentes et voulaient des choses différentes, les mêmes choses revenaient tout le temps dans ce qu’elles me disaient. Cette obsession de la perfection, le choix de la robe, les problèmes avec la famille, etc. Et je me suis dit « Mais comment ce serait d’être tout le temps, en permanence, dans l’organisation de mariage ? » Parce que la plupart des gens se marient une fois, ils l’organisent une bonne fois pour toutes, et ensuite ils passent à autre chose. Mais je me suis dit, « quelqu’un qui serait en permanence dans cette organisation-là, est-ce que ça rendrait les choses plus romantiques ou moins romantiques pour lui ? »
À propos de la fusillade, comme je vous le disais, je voulais que Louna ait à surmonter une perte et je voulais parler aux jeunes de la réalité dans laquelle ils vivent. Et finalement, c’est quelque chose qui peut arriver à tout le monde ; heureusement ça n’arrive pas à tout le monde, mais c’est une possibilité. Et normalement, une perte, un deuil, c’est quelque chose de très privé. Mais dans ce cas-là, c’est une chose qui devient publique, puisque c’est quelque chose dont tout le monde va parler.

C.P. : on a partiellement évoqué le sujet toute à l’heure, mais je voudrais y revenir. Malheureusement, les fusillades sont très fréquentes aux États-Unis, on l’a dit. Est-ce qu’aujourd’hui, c’est quelque chose qui participe vraiment de la construction de l’identité adolescente américaine, comme à d’autres époques ça a pu être le pacifisme ou le rock’n’roll ?

S.D. : oui, je pense. On peut voir, par exemple, dans beaucoup d’études, que les étudiants américains ont beaucoup d’anxiété et, par exemple, un mois après la fusillade qui a eu lieu en Floride, les jeunes ont lancé un mouvement, les survivants ont forcé le changement. C’est un peu la bonne chose qui peut ressortir de cette tragédie. Finalement, on va voir dans les générations qui arrivent que ces jeunes vont vraiment essayer de changer les lois autour des armes en Amérique.

Sarah Dessen

C.P. : ce que j’ai trouvé vraiment intéressant dans le roman, c’est que l’histoire se passe longtemps après la fusillade et qu’elle montre finalement que oui, ce sera très dur, mais Louna pourra continuer à vivre après ça.

S.D. : je ne voulais pas seulement parler de cette fusillade. Des gens ont écrit des livres en étant beaucoup plus centrés sur le sujet. Mais ce n’est pas ce que je voulais faire, ce n’est pas non plus ce que les gens attendent de moi. Je voulais vraiment qu’assez de temps se soit écoulé après cet événement pour que Louna ait pu commencer à faire son deuil et que les choses aient évolué depuis.

C.P. : je n’ai lu qu’un seul autre de vos romans, en l’occurrence Écoute-la et, dans ces deux romans, j’ai été frappée par la façon dont vous liez la légèreté de la romance et un sujet beaucoup plus douloureux ;  comment vous y prenez-vous pour lier les deux sujets ?

S.D. : je pense que les deux sont nécessaires, qu’on a besoin de choses sombres et également de lumière, en tant que lecteurs. J’ai commencé à écrire un autre livre, que j’ai arrêté. C’était beaucoup trop sombre : c’était à propos de cette fille avec laquelle son petit ami rompait. Et c’était déprimant ! Personne n’a envie de lire quelque chose d’aussi déprimant ! Je pense que le but du jeu, c’est de trouver l’équilibre entre les hauts et bas, entre les choses douloureuses de la vie et les joies, parce que je pense que ça consiste en ça la vie, en fait.

C.P. : il y a autre chose qui m’a bien plus dans le roman, c’est le cynisme des personnages. (Rires). Mais j’étais quand même contente qu’il y ait un happy end à la fin, même pour les plus cyniques d’entre eux, à savoir Nathalie et William. Est-ce que c’était important que chacun connaisse sa fin heureuse ?

S.D. : En tant que bibliothécaire, vous devez connaître des livres qui sont très très sombres mais, en fait, ce n’est pas ce que j’ai envie de faire. Quand j’écris un livre ou quand je lis un livre, j’ai envie que la fin soit heureuse, j’ai envie de me sentir mieux. Je n’ai pas forcément envie de me sentir dans un état incroyable, mais j’ai envie de me dire que les choses vont bien dans le monde, quand même. Et je me dis que si on peut écrire une fin heureuse, eh bien, pourquoi ne pas le faire ? Mais finalement, je le fais surtout pour moi, c’est quelque chose d’un peu égoïste.

C.P. : un autre point qui m’a marquée, c’est le fait qu’ils soient tous obnubilés par la perfection dans le roman, notamment Louna et que finalement, malgré tout, elle et sa mère parviennent à trouver le bonheur ; je me demandais s’il n’y avait pas une petite ode à l’imperfection là-dessous ?

S.D. : oui, c’est un sujet qui est vraiment présent dans beaucoup de mes livres. Par exemple, dans Pour toujours jusqu’à demain, le garçon dit à la fille « J’aime les défauts, c’est ce qui rend les gens intéressants » et c’est quelque chose qui est très très en jeu dans notre culture américaine. Les filles ont beaucoup cette pression d’être parfaite sans avoir l’air de faire beaucoup d’efforts pour l’être. Moi-même, je suis une perfectionniste, mais en réalité, la vie n’est jamais parfaite, et les choses ne sont jamais aussi belles que quand elles se passent de manière imprévue. Et je pense que c’est pour ça que c’est un thème récurrent dans mes livres, je pense que c’est aussi une façon de me rassurer et de me dire que voilà, ce n’est pas grave de ne pas être parfaite.

C.P. : Et je trouve que c’est extrêmement important de dire aux adolescents qu’ils n’ont pas besoin d’être parfaits et que leur vie peut être cool, même si elle n’est pas parfaite. Ils se mettent beaucoup de pression en France aussi, surtout les filles et c’est important de le leur dire.

S.D. : oui, et pourquoi pas les garçons ? Les garçons n’ont pas l’air si stressés à cause de la perfection ! Ce n’est pas très juste !

C.P. : Non, en effet ! On en arrive à la dernière question : avez-vous d’autres projets d’écriture, pour les adultes ou la jeunesse, en cours ?

S.D. : En fait, j’avais commencé ce fameux livre, mais qui n’a pas marché. Mais ça fait partie de mon processus d’écriture. Et je me suis dit « Bon, je vais aller à Paris et puis on verra ensuite ». J’avais commencé un livre pour adultes, qui se passe à notre époque, mais je l’avais laissé de côté, donc on verra aussi. Celui-ci, c’est mon 13e roman et c’est vrai que c’est difficile d’avoir de nouvelles idées. Je n’ai pas du tout envie de me répéter, de redire la même chose, alors je préfère attendre d’avoir une idée qui me rende enthousiaste et qui puisse plaire aussi au lecteur.

C.P : Merci beaucoup, Sarah Dessen !

Propos recueillis le 16 mars 2018 par Oihana.

A propos Oihana 710 Articles
Lectrice assidue depuis son plus jeune âge, Oihana apprécie autant de plonger dans un univers romanesque, que les longues balades au soleil. Après des études littéraires, elle est revenue vers ses premières amours, et se destine aux métiers du livre.

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