Le Bouthan, une utopie ?

« Bienvenue au pays du bonheur national brut »

De nombreux auteurs firent de l’Utopie leur sujet de prédilection, comme si les ouvrages de leurs prédécesseurs –qui pourtant définissaient l’Utopie comme humainement impossible d’être atteinte – ne suffisaient à éteindre le feu qui brûlait en eux d’écrire sur ce sujet. Et de sans cesse raviver l’éternel débat du lieu utopique, société parfaite et monde sans failles, où les vices des Hommes ne viendraient pourrir de leur gangrène les rouages de la société. Qu’ont en commun Thomas More, Jules Verne, George Wells, Aldous Huxley, Alexandre Jardin, Jean-Christophe Rufin et George Orwell, mis à part le fait d’avoir décrit des civilisations originales situées aux confins du monde connu, microcosmes où toutes les injustices du monde réel seraient gommées pour dresser le tableau d’une société idéale ? Ils partagent le talent pour décrire avec éloquence l’apparente impossibilité d’un tel projet, avec des adjectifs peu glorieux qui qualifient habituellement les tendances humaines. Mais cette Utopie serait-elle vraiment irrationnelle ?

Plongée dans le Bouthan, enclave de 46 000 km² entre l’Inde et la Chine, où le mot « Bonheur » prend tout son sens : le seul pays du monde à avoir remplacé le traditionnel Produit National Brut (PNB) par celui du Bonheur National Brut (BNB) serait-il le plus heureux du monde ? Cette petite parcelle de bonheur peut-elle se vanter d’avoir concrétisée l’Utopie chère à de nombreux auteurs ? Bienvenue au pays du bonheur national brut.

Bouthan 1

L’enclave de l’Himalaya

Peu de gens connaissent ou ont déjà entendu parler de cette enclave terrestre située dans l’Himalaya, sur les sommets du monde, et qui ne compte que 700 000 habitants. Et pour cause, ce territoire grand comme la Suisse, qui limite l’afflux d’étrangers pour la préservation de son territoire, fait figure d’oasis de paix sociale et de démocratie. Et ce n’est pas chose facile dans un sous-continent, aux frontières du Tiers-Monde, en proie aux ravages écologiques et aux inégalités les plus creusées. Sa nature intacte, ses paysages étonnamment préservés par des politiques extrêmement strictes détonnent au milieu de la pollution ambiante provoquée par ses voisins aux allures de Géants –poussés par leurs aspirations à la mondialisation. Les nuages de mauvais augure des « Géants d’à-côté » ne sont pas encore parvenus à percer les frontières physiques du Bouthan. Détendez-vous, et prenez un grand bol d’air, même si, à plus de 3000 mètres d’altitude, il a tendance à se faire rare.

« Il y a quarante ans, peut-on lire dans l’article de Eric Tariant pour le magazine WE DEMAIN, c’était un pays fermé, sans moyens de communication modernes, sans routes ni téléphones, et encore médiéval dans ses structures ». Aujourd’hui, fort de ses 9.8% de croissance en 2012, le Bouthan avance lentement mais sûrement vers une modernisation qui n’écrase pas les valeurs traditionnelles de ce peuple ancestral, et qui parvient à harmoniser le processus de développement avec la culture bouddhiste qui persiste. Si le Bouthan avait une leçon de morale à donner aux grandes nations, ce serait celle d’une économie épanouie qui ne s’est pas comportée comme une machine de guerre, prouvant que la pollution et la destruction du milieu naturel ne sont pas forcément les fers de lance d’une économie florissante. Et si le Bouthan avait trouvé l’alternative, prouvant à ses camarades économiques que le respect de ses terres pouvait aller de pair avec une solide productivité ? Comme quoi, les hommes devraient apprendre davantage des fourmis.

Le BNB : le Bonheur National Brut

« Les secrets de ce petit Éden himalayen ? Le Bouthan est le seul pays au monde à avoir inscrit le bonheur de ses 700 000 habitants au cœur des politiques publiques ». Il se compose de quatre piliers : le développement économique et social durable et équitable, la conservation de l’environnement, la bonne gouvernance, et enfin la préservation des traditions culturelles. C’est ce programme qui porte toutes les marques de l’Utopie, que défend son représentant Jigmi Y. Thinley. Conscient que le monde économique actuel défendu par les grands états mondialisés convulse depuis quelques années, et est en train de s’enfoncer progressivement dans la récession ; Jimi Y. Thinley veut faire des besoins humains « la ligne de mire et la boussole du changement sociétal ». Face à cet automate économique qui caractérise nos sociétés, imperturbable et glacial devant les souffrances des peuples, ce jeune dirigeant décide d’emprunter une voie divergente –originale et inhabituelle à la fois– qui ne fait pas des peuples les esclaves d’un système, mais qui met l’économie « au service du bien-être et du bonheur des êtres humains ». Finalement, l’Utopie ne naîtrait pas simplement du refus de suivre le grand mouvement mondial ?

Cette société sans prétention, qui malgré tout subit les attaques du monde moderne, menait en 2008 une enquête auprès de ses citoyens afin d’indexer les valeurs et les inspirations des Bouthanais : aujourd’hui Bible du gouvernement, elle place l’éducation comme l’une des clés de voûte de l’évaluation du BNB. En effet, le gouvernement s’est donné l’objectif d’atteindre un taux d’alphabétisation de 100% d’ici à 2015, considérant le savoir comme l’un des piliers de la sagesse et de la tradition religieuse bouddhiste. Cependant, cette toute jeune démocratie se défend de vouloir imposer à ses citoyens une conduite à tenir, ou de définir à la place des gens ce qu’est le bonheur, « mais de créer les conditions qui permettent aux gens de vivre une vie heureuse ».

Germe d’une société idéale ?

Mais… car tout a un « mais », au Bouthan, quelques voix commencent à s’élever contre un BNB pensé par les élites, et dont ils ne comprennent pas totalement la philosophie et sa portée. Seraient-ce les premières failles d’une société parfaite ?

Germe d’une société idéale –tout en justesse et sans extravagance –, le Bouthan, toute jeune démocratie d’Asie du Sud, n’en est qu’à ses débuts. Et pourtant, le défi s’annonce difficile voire fastidieux : dans un monde qui place la société de consommation sur un piédestal, le Bouthan doit subir les attaques permanentes du tabac, de l’alcool, de la junk food, des voitures de luxe, de la modernisation intensive, des nouvelles technologies, etc. Encouragé par la hausse de son espérance de vie et les réussites d’un système de santé et d’éducation totalement gratuits, cet embryon de société idéale devra lutter pour se préserver, et préserver sa philosophie et sa qualité de vie. La réalité du monde moderne supplantera-t-elle un jour les idéaux Bouthanais ? Et si, finalement, les grands auteurs s’étaient fourvoyés en considérant l’Utopie comme totalement irréelle ?

Par Maxime

2 Commentaires

  1. Eh bien si un jour j’ai l’opportunité (et l’argent, il faut le dire) de m’y rendre, c’est sans hésitation que j’irai ! Touriste responsable en herbe, je n’attends que ça de découvrir des destinations qui placent l’environnement et le développement local au cœur de leur société !
    Cet article est fort intéressant, je n’ai plus qu’à me dégoter une map-monde à punaiser des pays que j’aimerais voir et y ajouter le Bouthan 😉

  2. Rien que pour le terme « bonheur national brut », j’aurais bien effectué un séjour la bas. Je n’ai que des bons échos de cette destination. Il a été classé parmi les pays ou les gens se sentent le plus heureux. Il y a certainement une culture riche en enthousiasme à découvrir

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