Voyageur malgré lui : partir loin et ne pas revenir

Line, la narratrice, s’appelle en réalité Ngoc Linh, mais elle a depuis longtemps francisé son prénom d’origine vietnamienne face au désarroi de ses professeurs et camarades de classe. Elle est française, née en région parisienne de parents français, malgré le fait qu’un agent de police bêtement zélé et procédurier lui signale que cela ne prouve pas qu’elle puisse avoir droit à une carte d’identité française. Line est née au bon endroit au bon moment, c’est la réflexion qu’elle se fait dans l’avion qui la transporte entre New York et Paris. Ce qui n’est pas le cas d’Albert Dadas dont l’auteur évoque le cas en ouverture de ce roman. Ce bordelais ayant réellement existé au XIXe siècle était atteint de l’étrange syndrome de ne pas pouvoir s’empêcher de partir de chez lui, ce qui l’a conduit à errer dans une Europe qui n’était alors pas aussi ouverte qu’aujourd’hui, à une époque où la plupart des gens mourraient dans leur commune de naissance et sans l’avoir quittée plus de quelques kilomètres. Le premier voyageur malgré lui, donc, et à priori le seul cas pathologique recensé. Un voyageur qui aurait peut-être, pense Line, aimé exercer la profession de Samia Yusuf Omar. Cette athlète, qui a elle aussi réellement existé, n’avait que dix-sept ans lorsqu’elle a participé aux Jeux olympiques de Pékin en 2008 et l’auteure a tenu à lui rendre un hommage dans son livre en raison de son destin tragique. Loin derrière ses concurrentes dès le premier tour avec huit secondes de retard, elle n’a fait qu’un bref passage sur les écrans de télévisions, ovationnée par un public ému avant de retourner dans son pays, la Somalie. État le plus défaillant du monde, il n’a offert à Samia Yusuf Omar que malheur et pauvreté. Elle est morte en 2012 au large de l’Italie alors qu’elle tentait, comme des milliers d’immigrés clandestins, de rallier l’Europe pour pouvoir bénéficier d’un véritable entrainement et peut-être participer aux jeux de Londres.

Voyageur malgré lui

Enfin, la narratrice développe le cas de son père, et l’on imagine qu’il y a sûrement une part autobiographique dans ce roman. Lors de la Guerre du Vietnam, il était étudiant en France et a pu rester malgré lui dans ce pays lorsque Saigon est tombé et que le Vietnam du Sud est devenu lui aussi communiste. Il est alors devenu informaticien et a continué à voyager à travers la France puis l’Europe et le monde entier, là encore malgré lui mais de façon aussi naturelle que dormir ou manger mais sans jamais pouvoir retourner au Vietnam et en perdant tout contact avec, notamment, sa cousine Hoai ayant tenté de rejoindre les États-Unis pour y retrouver celui qu’elle aimait.

L’idée du livre est originale : invoquer plusieurs voyageurs malgré eux qui furent obligés de partir de chez eux pour diverses raisons. Le lien entre les différents personnages et la chronologie des événements, très éclatée dans le récit, rendent le roman un peu confus mais la lecture n’en est pas moins agréable et instructive.

Voyageur malgré lui, Minh Tran Huy. Flammarion, 2014.

Par Antoine-Gaël

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