Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour

Voilà. Tout est dit dans le titre. C’est exactement ce qui se passe dans le roman incroyable de S. G. Browne : Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour, tout un programme. L’auteur reprend le mythe du zombie, et nous en montre l’autre côté. Effectivement, vous aurez remarqué qu’en général, dans les romans qui traitent de zombies, le zombie, c’est l’autre, celui qui vous court après en bavant et en claquant des dents. Le héros reste souvent un humain, souvent terrifié car poursuivi par des hordes de zombies bébêtes et avides de chair fraîche. S.G. Browne, lui, s’est demandé ce que pouvait ressentir un zombie : le résultat est un roman complètement barré, provocant et avouons-le, très réussi.

Les zombies sont parmi nous, et cela n’a rien de nouveau. De temps en temps, au lieu de rester morts, les défunts se relèvent et rentrent chez eux, quand ils ne sont pas attrapés par la SPA (pour de vrai !). C’est ce qui est arrivé à Andy, qui, après avoir succombé à un accident de voiture, s’est réveillé, désormais veuf et non-mort. Depuis, Andy pieute dans le sous-sol de ses parents, à descendre la cave à vin de son père en regardant des soap-operas et de la téléréalité. Sa jambe est HS et traîne par terre. Son bras ne vaut plus rien. Ses cordes vocales ne fonctionnent plus, et son visage est tout suturé. Andy a tout de la mauvaise caricature du zombie qui boîte et qui s’exprime par grognements. Sa mère ne supporte plus de le toucher et le bombarde de désodorisant en prétendant que tout est normal. Son père lui en veut de ne pas avoir su rester à sa place et le menace régulièrement de le donner à un « zoo pour zombies » (l’équivalent zombie de la pension ?). En somme, ce n’est pas la joie.

Un jour, Andy se réveille dans la cuisine. Autour de lui, des aliments surgelés à moitié décongelés. Alors qu’Andy s’apprête à ranger ce qui peut encore être conservé dans le congélateur, il a la surprise d’y découvrir les corps de ses parents. Que s’est-il passé ?

Le retour chez ses parents à trente ans passés n’a rien de funky. Mais si, en plus, on doit se balader avec une ardoise autour du cou pour pouvoir s’exprimer et que les passants nous balancent des ordures et des aliments à demi-mangés dès que l’on s’aventure dans la rue, ça devient l’horreur. Andy est devenu un paria : le seul moment où il sociabilise, c’est au groupe de soutien des morts-vivants anonymes auquel il se rend un peu par ennui, un peu comme (pardonnez-moi la comparaison) Hazel et Gus dans Nos étoiles contraires.

S.G. Browne peut se montrer irrévérencieux, mais toujours terriblement drôle. Comme il l’écrit lui-même : « C’est une histoire classique de souffrance et de rédemption. Un peu comme La Couleur pourpre ou le Nouveau Testament. Mais avec quelques scènes de cannibalisme. » (p. 343). Malgré lesdites scènes de cannibalisme (dont le titre ne se cache pas !), on n’arrive pas à en vouloir à Andy, ou à être totalement horrifiés par ses actes. On continue à faire front avec lui. Il faut ce qu’il faut pour survivre.

Comment j'ai cuisiné mon père, ma mère... et retrouvé l'amour

Et Andy a un côté désespérément touchant quand, muet, il s’offre à la vindicte populaire avec ses pancartes pour la défense des droits civiques des zombies. N’étant pas considérés comme des citoyens, les zombies subissent quotidiennement insultes et violences. Si personne ne les réclame à la SPA, ils finissent dans des laboratoires ou dans des zoos, dépecés au nom de la science ou du divertissement. On peut démembrer ou immoler un zombie pour le plaisir sans que personne ne bronche. Andy assiste à des scènes de lynchage. Il est régulièrement couvert de détritus par des gens comme vous et moi. Derrière l’humour noir, en creusant un peu, on trouve un véritable plaidoyer pour la tolérance et la solidarité. Apprendre que des conjoints, des parents, des enfants sont près à rejeter leur proche en leur jetant au visage qu’il aurait mieux fait de « rester mort » est tout de même d’une rare violence.

Heureusement, Andy se fait des amis : Jerry alias « Tu veux toucher mon cerveau », Tom le végétarien qui s’est fait à moitié manger par son chien, Naomi qui écrase ses clopes dans son orbite vite, Helen et ses maximes pleines de bons sentiments, mais également et surtout Rita, avec qui Andy va effectivement retrouver l’amour (« Est-ce de la nécrophilie, si on est morts tous les deux ? » p. 222). Cette drôle équipée de parias nous entraîne dans une histoire où il est question de putréfaction (beaucoup), d’injustices (aussi), de cannibalisme (ce sont des zombies, après tout), de militantisme pour les droits civiques (eh oui) mais également d’humour, d’amitié et d’amour. S.G. Browne nous propose un récit riche, drôle et maîtrisé de bout en bout.

Comment j’ai cuisiné mon père, ma mère… et retrouvé l’amour, S.G. Browne. Folio, 2014. Traduit de l’anglais par Laura Derajinski.

Par Emily Vaquié

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

3 Commentaires

  1. C’est exactement ça, il m’a émue avec ses pancartes pour s’exprimer…

    Plein d’humour et tout en sensibilité malgré ce qu’on pourrait croire à première vue… Conquise !

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