LOUISIANE — Ah, la Nouvelle-Orléans, ville fascinante s’il en est ! C’est ce cadre entre ombre et lumière, entre fêtes et décadence, misère et racisme, que Margaret Wilkerson Sexton a choisi comme cadre pour son roman Un Soupçon de liberté, où elle déroule, sur près de sept décennies, l’histoire de trois générations d’Afro-Américains.
Un cadre dont le choix ne doit rien au hasard : si la Nouvelle-Orléans fait fantasmer les Français qui, dans un élan patriote, se verraient bien y déambuler en se félicitant de voir leur langue aux quatre coins de la ville, c’est aussi et surtout une ville rudement marquée par son passé esclavagiste puis ségrégationniste, puis ravagée par l’ouragan Katrina dans les années 2000. La Nouvelle-Orléans, c’est le sud profond, et le sud reste une province marquée par le racisme, où les Afro-américains doivent se battre deux fois plus que les Blancs. Le racisme et l’hostilité de la société toute entière sont donc sans surprise deux des thèmes forts du roman de Margaret Wilkerson Sexton, dont les personnages essaient désespérément d’échapper à leur condition, à faire davantage que ce que la société attend d’eux (en y parvenant parfois… et en échouant souvent).
Prenons Evelyn par exemple, sur qui s’ouvre le récit : Evelyn est une jeune fille noire qui, en 1945, rêve de devenir infirmière et de marcher dans les pas de son propre père, premier médecin de couleur de l’état. Elle rêve d’amour aussi. Ses deux rêves seront-ils compatibles l’un avec l’autre ? Prenons Jackie, sa fille, que nous suivons dans les années 80. Jackie ne rêve que d’une chose : pouvoir compter sur Terry, son mari, et père de son fils. Mais Terry est aux prises avec la drogue et la société ne lui fait pas de cadeau : parviendra-t-il à redresser la barre ? Près de vingt-cinq ans plus tard, nous écoutons la voix de TC, leur fils, lui-même tombé dans le trafic d’herbe, qui rêve d’une vie meilleure pour son propre fils in utero.
Dans le roman de Margaret Wilkerson Sexton, les hommes rêvent mais sont souvent défaillants : rattrapés par la pauvreté (Renard), la drogue (Terry) ou la délinquance (TC), ils laissent derrière eux des femmes désemparées mais fortes. Renard n’est pas le parti espéré par son père ? Qu’importe, Evelyn est prête à tout pour être avec lui. Terry n’est pas fiable ? Jackie élèvera son fils seule s’il le faut. Une génération plus tard, Alicia devra sans doute faire le même choix avec le quatrième maillon de la famille, Malik. Qu’il est dur de lutter contre la misère, une société hostile et raciste et la voie apparente de la facilité, le trafic qui, côté face peut vous rapporter des millions, et côté pile vous envoyer en prison… Pourtant, nul apitoiement dans le récit d’Un soupçon de liberté. Les personnages se battent, pour une vie meilleure et ce fameux soupçon de liberté qui leur permettra de sortir de ce destin préétabli, qui a tout du mauvais cliché. Le roman s’arrête sur la promesse d’une nouvelle génération qui, nous l’espérons, ne connaîtra ni la pauvreté, le racisme ou la prison. Qui sait, peut-être que Malik, lui, parviendra à suivre les traces de son aïeul et devenir à son tour médecin ?
Ce roman familial et social plaira tout particulièrement aux férus de littérature américaine, ceux qui aiment voir une famille étasunienne se déployer sur plusieurs générations, le tout dans un cadre particulièrement intéressant, celui du melting pot de New Orleans. C’est passionnant.
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