Alabama Song : Une histoire de (dés)amour.

Avant d’aborder Alabama Song, il est une note de l’auteur non négligeable: « Alabama Song est une oeuvre de fiction. Si plusieurs personnages secondaires de ce livre présentent quelques ressemblances avec les proches, les parents et les contemporains de Zelda Sayre Fitzgerald, leur description et les événements qui les concernent sont pour la plus grande part le fait de mon imagination ».

 Le ton est donc donné par l’écrivain Gilles Leroy qui ajoute, le temps d’un roman, la corde de l’Histoire à son arc. L’Histoire avec un grand « H » en effet parce que ce couple, plus que l’union de deux êtres, était l’incarnation d’une époque : « les années vingt, c’était eux » (Lilian Gish). Bien avant d’être la figure d’un amour dévoué, le couple Fitzgerald, c’est avant tout un train de vie,  « un cloaque de chic ». Ils sont riches, tout leur est permis et ils en profitent pour ne se priver de rien. « On nous payait des fortunes pour des publicités où tout notre effort était d’arriver à l’heure, dessoûlés, souriants et propres. C’est nous qui avons inventé la célébrité et surtout son commerce ». Mais très vite, le vernis craque et derrière tant de fastes, c’est la décadence et l’enfer qui grondent parce que leur histoire, bien loin du conte de fée, l’est aussi de tout ce qui est conventionnel.

 Une douce destruction.

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 «Les gens qui s’aiment sont toujours indécents. Et pour ceux qui ont perdu l’amour, le spectacle des amants est une torture qu’ils nient en crachant dessus ou en s’en moquant ». Comme gage de son amour, Zelda offre à Scott une flasque qui ne le quittera désormais jamais plus et sur laquelle elle fait graver l’inscription « Ne m’oublie pas ». Elle s’interroge ensuite  « N’est-ce pas la vérité, au fond? On boit pour se souvenir autant que pour oublier. Avers et revers d’une même médaille, pas glorieuse, qui s’appelle le malheur ». Un geste symbolique qu’elle qualifiera elle même de « cadeau étrange et criminel » mais reflet de ce qui sera à mettre pour eux derrière le mot « amour »,si souvent remis en cause tout au long du roman.  Ils sont à la fois l’un pour l’autre la pire et la meilleure des choses qui pouvait leur arriver comme l’antidote l’est à son poison. Si pour Scott cette union traduit son désir de pallier à « une honte qui semble collée à sa peau (…) ce qu’on ressent à être déclassé et à vouloir encore, devenu pauvre, évoluer dans un monde de riches » ; elle est pour Zelda un ultime acte de rébellion. Jeune fille de bonne famille, Zelda compte bien se délier des chaînes de son rang et surtout de la suprématie parentale. « Je suis une salamandre. Je traverse les flammes sans jamais me brûler. C’est de là que me vient mon nom […] (d’) une Zelda de papier, héroïne d’un roman oublié qui s’intitulait La Salamandre – et cette Zelda était une fière danseuse gypse ».  Fondamentalement audacieuse pour l’époque, tant dans sa personnalité que dans son mariage, elle est pourtant souvent en proie aux doutes « et si je m’étais trompé de vie ? Si mon orgueil idiot avait causé ma perte ».

« Il n’est point de haine implacable sauf en amour » – (Properce).

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 « On avait tant de choses en commun », « Ce qui nous a rapproché ? L’ambition, la danse, l’alcool – oui, bien sûr. Ce désir bleu de briller ». Zelda et Scott sont « deux enfants gâtés », d’éternels insatisfaits dont l’orgueil obnubilant les empêche d’aller l’un vers l’autre. « J’ai l’air de me moquer, et c’est plus fort que moi. Si tu savais comme je t’aime entre deux sarcasmes. Comme…tu me manques ». S’il paraît évident que l’Amour est approprié pour qualifier ce qui les relie, eux-mêmes peinent à qualifier leurs rapports si ambigus. « Je crois que je l’aimais, si incongru que le mot aimer me paraisse aujourd’hui pour dire notre relation si peu affectueuse ». Entre la haine et l’amour, il n’y a qu’un pas et celui-ci, le couple Fitzgerald n’hésite pas à le franchir . Ils partagent « une horrifique tendresse. Mais cette folie à deux, ce n’était pas de l’amour ». « Au départ je me foutais de lui, à la fin il se foutait de moi ». Ce qui les unit les dépasse et ils semblent atteindre des instants d’une fusion singulière. « Je l’aime tant certaines fois. C’est comme vivre dans une sphère de lumière, une aura qui nous enrobe tous deux et se déplace avec nous. Dans ces instants-là, nous sommes éternels ». L’éternité, c’est aussi l’annonce d’un troisième élément qui s’invite entre eux, le spectre de la mort. D’abord dans le souvenir du frère de Zelda « ton frère ne savait quoi inventer pour se faire remarquer. Il a fini par trouver ». Le suicide alors comme ultime moyen d’exister, comme « un acte chic » . Zelda et Scott avait fait le pacte d’« accorder leurs violences », la mort ne saura en aucun cas un moyen de délivrance face à cette emprise. « Mon bel époux ne meurt pas : il se venge et triomphe ». « Je n’ai pas de peine, je lui en veux trop ».

Les liens de l’encre.

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Tiraillés entre la haine et l’amour qu’ils se vouent, ils ne font qu’attiser leurs souffrances mutuelles. Alimentant ainsi de manière malsaine leur créativité, cet amour ira jusqu’à l’aliénation. « Il en est qui se cachent pour voler, pour tuer, pour trahir, pour aimer, pour jouir. Moi, j’ai du me cacher pour écrire. J’avais vingt ans à peine que déjà je tombai sous l’emprise – l’empire – d’un homme à peine plus vieux que moi qui voulait décider de ma vie et s’y prit très mal ». Bien loin de l’image de la femme qui vit dans l’ombre de son mari, auteur à succès, la jalousie s’infuse entre les deux artistes : « il m’a volé mon art et persuadé que je n’en avais aucun ». Scott vole les cahiers de Zelda, la réduit plus bas que terre pour s’attribuer ce qu’il s’évertuait à dénigrer : « j’ai perdu bien des mots dans ma vie, à force d’abrutissement »,« j’étais sa poupée modèle, je suis devenue son cobaye ». La lutte des deux amants se transporte sur le terrain de l’écriture. Ce sont aussi deux artistes qui se font face, se scrutent et se comparent.

Pascal disait que « l’amour a ses raisons que la raison ignore ». Ici, l’amour se fait Reine de complexités et règne sur un couple qui se déclare sans fin : Je t’aime…moi non plus.

 Alabama Song (prix Goncourt 2007),Gilles Leroy. Editions Mercure de France, 2007 puis Folio, 2009.

Par Capucine

 Mois de mars

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