Renoir intime

1915, Côte d’Azur…

Au crépuscule de sa vie, Auguste Renoir subit les épreuves les unes après les autres : son épouse est décédée, il souffre terriblement de multiples douleurs dues à son grand âge, et les nouvelles du front ne sont pas bonnes ; deux de ses fils sont blessés, le troisième, à l’aube de l’adolescence, erre dans la propriété de Cagnes-sur-Mer comme une âme en peine, privé de repères. Un matin, une jeune femme décomplexée, Andrée, se présente au domaine pour poser. Jeune, libre, pleine des idéaux et ambitions de cette génération marquée par la douleur et la perte, elle va redonner au vieillard un souffle depuis longtemps perdu. Pleine de vie, elle deviendra peu à peu la fontaine de jouvence du peintre qui, inlassablement, malgré les douleurs, peint encore et encore cette jeune femme rayonnante. Lorsque Jean, le fils cadet, blessé à la cuisse par un éclat d’obus, rentre au domaine des Collettes, il découvre cette pétulante jeune femme, objet de toutes les obsessions de son père. Malgré les réticences de celui-ci, le jeune homme se rapproche du licencieux modèle. Dans ce domaine méridional épargné, le jeune homme va s’éprendre du feu follet qui, peu à peu, fera du soldat droit, loyal et boiteux, un cinéaste de renom.

Jean et Andrée Renoir

Renoir. Le film sur la fin de la vie du peintre est sobrement intitulé. Et pour cause. Car ce n’est pas seulement l’histoire d’Auguste Renoir, maître de la peinture, mais celle de l’ensemble de la galaxie Renoir. Tous les hommes de la famille – Auguste et ses trois fils, Pierre, Jean et Claude – sont concernés, autant que la pétillante jeune femme qui surgit dans leurs vies, Andrée Heuschling, ultime modèle du peintre, véritable regain d’énergie, future Andrée Renoir, peut-être plus connue sous le nom de Catherine Hessling. Lorsqu’elle se présente à la grille du domaine, Andrée est le reflet de cette jeune génération du début du siècle : avide de gloire, de découvertes, de nouvelles conquêtes, passionnée, exubérante, elle se lance dans tout à corps perdu. Poser nue pour Renoir revient à faire de l’art, peu importent les bruits qui courent dans son dos. Et des bruits, il y en a, dans cette maison plus peuplée par les femmes au service de la famille Renoir, que par les Renoir eux-mêmes, repliés sur eux-mêmes, leurs pensées, leurs chagrins. Au retour de Jean, l’atmosphère change et se charge de sens : on oscille entre les non-dits que l’on sent entre père et fils, et la tension amoureuse qui naît peu à peu entre le soldat et la pétillante jeune femme.

Tout est suggéré, et la tension nettement renforcée par ces paysages de garrigues et d’oliviers, secoués par les vents marins. La musique du film, douce et lancinante, est soulignée par ce souffle continu, peuplé du ressac et des cris d’oiseaux. Dans la douce et chaude lumière du début d’automne, le cinéaste tisse trois portraits entrecroisés, d’adultes qui se cherchent, se tournent autour, et ont du mal à se trouver ; autant de personnages à l’image d’une époque troublée.

Renoir 3

Michel Bouquet, imposant dans son rôle de patriarche bourru, renfermé, perclus d’arthrite, donne la réplique à un Vincent Rottiers incroyablement juste et magnifique en Jean Renoir, et à une Christa Théret brouillonne, enfantine et aguichante. Des trois, c’est probablement l’interprétation qui sonne le moins juste, tant les deux hommes campent à merveille les leurs. Mais ces petits décalages donnent au personnage toute sa fraîcheur, et au film son souffle. Filmant autant la vie des personnages que la genèse des œuvres, Gilles Bourdos propose de prendre le pouls d’une époque, en passant par l’histoire de cette famille comme tant d’autres, secouée par la guerre et les événements de la vie. Renoir est un film qui ne dit pas tout, préférant suggérer, laisser entendre, ce qu’il y a à comprendre, par de multiples scènes de natures mortes – mais pas immobiles pour autant. Tout fait sens : par le biais des paysages, des changements de tonalité, il fait passer les émotions ; le jeu des acteurs prend tout son sens, tant dans les répliques que dans les pauses. Renoir n’est pas à proprement parler un film sur la peinture, même si on voit le maître, le « Patron », à l’œuvre sur plusieurs de ses toiles (Les Baigneuses, notamment). Renoir n’est pas non plus un film sur la vie du peintre de renom, puisqu’il commence quatre ans avant son décès. Renoir est plutôt le portrait croisé de la fin d’une vie et de l’essor d’une autre, sublimées par la présence d’une jeune femme croquant la vie à pleines dents et ne s’en laissant pas conter, le tout dans une lumière splendide, et une atmosphère peuplée de silences.

Renoir est un film de Gilles Bourdos, dans les salles obscures depuis le 2 janvier 2013. 

Par Oihana

A propos Kévin Costecalde 303 Articles
Passionné par la photographie et les médias, Kévin est chef de projet communication. En 2012, il a lancé le blog La Minute de Com, une excellente occasion selon lui d'étudier les réseaux sociaux et l'actualité. Curieux et touche-à-tout, Kévin aime les challenges, les voyages et l'ironie.

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