Poison City ou le retour de la censure !

Poison City, Tetsuya Tsutsui, Ki-oon

MANGA — En 2013, le mangaka Tetsuya Tsutsui s’aperçoit que son manga policier Manhole a été censuré par la section des affaires sociales et de la santé du département de Nagasaki, pour cause d’une « incitation considérable à la violence et à la cruauté chez les jeunes », sans qu’il en ait jamais été averti. Alors qu’il lutte encore pour la réhabilitation de son titre, pour une meilleure appréciation des œuvres (33 titres sont passés au « crible » en seulement 35 minutes !) et pour la liberté d’expression, il publie en France un diptyque qui évoque brillamment la question : Poison City.

Dans ce second tome, Mikio Hibino, notre jeune mangaka, est de nouveau confronté à la stigmatisation de son manga d’horreur hyperréaliste, Dark Walker, supposé trop violent.  Son éditeur lui suggère alors de faire ce que souhaite la commission, à savoir modifier le contenu : en effet, c’est le nombre de pages violentes sur l’ensemble qui détermine le degré de dangerosité du manga. Or, en regroupant toutes les séquences violentes, on peut diminuer le nombre de pages incriminées, ramenant le total à un nombre acceptable. Mikio s’arrache donc les cheveux, recombine ses chapitres, réarrange son histoire et abandonne : céder signifie dénaturer son manga et il n’en a absolument pas l’intention. Il poursuit donc et la commission le poursuit de ses foudres, imposant une audience publique.

Poison City, Tetsuya Tsutsui, Ki-oon

L’histoire alterne à nouveau entre réel et chapitres de Dark Walker, qui sont moins nombreux que précédemment. Ils offrent quelques pauses dans le climat extrêmement tendu qui règne sur les pages. Rapidement, on assiste donc à l’audience publique, à laquelle Mikio arrive fort peu tranquille, échaudé par l’exemple d’un auteur de comics américain, lui aussi déclaré nocif. Le manga met en parallèle les deux industries et compare leurs œuvres de censure, montrant à quel point les commissions peuvent se montrer aveugles et volontiers obtuses.

Car, finalement, Poison City ne parle pas seulement de la censure appliquée aux mangas. Certes, c’est le sujet central. Mais ce que met en avant Tetsuya Tsutsui, ici, c’est surtout l’hypocrisie d’une société – dans laquelle il n’est franchement pas difficile de lire la nôtre… – qui préfère se trouver un bouc-émissaire facile (ici les mangas, mais cela pourrait être les jeux vidéo, les films, les romans policiers…), plutôt que d’analyser ses erreurs ou de se remettre en question. Alors que la tension ne fait qu’augmenter, l’auteur termine sur une apothéose qui fait froid dans le dos. Car dès la dernière page tournée, on ne peut s’empêcher de se demander : et si cela nous arrivait ? A bien des égards, on peut d’ailleurs se demander s’il s’agit vraiment d’anticipation et si le mangaka n’évoque pas déjà quelques travers bien ancrés de notre société.

A l’issue de l’article évoquant le premier tome de ce diptyque, j’écrivais : « Pourquoi faut-il lire Poison City ? Parce que Tetsuya Tsutsui ne nous parle pas seulement d’une dérive de la commission de censure du Japon. Dans un monde toujours plus craintif quant à la valeur de la parole, il nous rappelle que la liberté d’expression doit être défendue, que la parole ne doit pas être réduite à ce qu’une petite minorité seulement souhaite entendre.
Et ce rappel est absolument indispensable. »
Cela vaut pour le second volume. Tetsuya Tsutsui nous rappelle avec force combien il est nécessaire de se battre avant que la censure ne nous étouffe. Et c’est maintenant qu’il faut être vigilant.

Poison City, volume 2, Tetsuya Tsutsui.  Ki-oon, décembre 2015. Traduit du japonais par David Le Quéré.

A propos Oihana 710 Articles
Lectrice assidue depuis son plus jeune âge, Oihana apprécie autant de plonger dans un univers romanesque, que les longues balades au soleil. Après des études littéraires, elle est revenue vers ses premières amours, et se destine aux métiers du livre.

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