Parfaite : le roman qui a inspiré You !

You Parfaite

ROMAN — Parfaite : Beck l’est assurément aux yeux de Joe qui, du jour où il l’a vue passer la porte de sa librairie, n’a pu cesser de penser à elle. Elle l’obsède, et pour l’avoir, il est près à tout : il écume ses réseaux sociaux, l’observe évoluer dans son appartement, la suit dans sa vie.

L’histoire proposée par Caroline Kepnes a eu un joli succès, avec une belle couverture presse, puis Netflix s’est emparé de l’intrigue et en a adapté deux saisons (une troisième est prévue pour 2021). Nous avons regardé la saison 1, qui correspond à Parfaite (la saison 2 suit elle l’intrigue du roman Les Corps cachés, qui fait directement suite au tome 1) et avons été assez enthousiasmés. Que vaut le roman (en gros : que vaut l’histoire sans le charisme de Penn Badgley ?) ?

Le lecteur qui a vu la série ne sera pas dépaysé pour un sou, car le ton est au début strictement le même : on lit avec la voix du narrateur de la série dans la tête. Bien sûr, des distinctions apparaissent par la suite, mais le début de la série, en tout cas, est remarquablement fidèle au roman.

Prenons maintenant ce roman comme ce qu’il est à la base : un récit original libre de toute adaptation Netflix. Caroline Kepnes propose un thriller extrêmement glauque, qui met le lecteur mal à l’aise à de nombreuses reprises, car il nous plonge dans la psyché d’un personnage obsessionnel, taré, et complètement dangereux, qui envisage le meurtre comme une solution « normale ». Joe Goldberg est un prédateur, au besoin de contrôle absolu, qui porte des jugements sans appel sur les gens, et qui s’estime parfaitement en droit d’écarter brutalement et définitivement ceux qui se dressent sur son chemin (ou plutôt, sur le chemin de son entrejambe, qui semble mine de rien beaucoup le diriger, pauvre garçon). Joe Goldberg incarne tout ce qui cloche chez certains hommes incapables d’accepter le refus : charmant un instant, mais capable de basculer la minute suivante dans un accès de violence extrêmement effrayant quand on lui résiste. En gros : « Si je ne peux pas t’avoir, personne ne t’aura ».  Ça fait froid dans le dos et d’ailleurs, Joe Goldberg est sinistre. Et pourtant, c’est le narrateur, c’est le personnage principal. Nous sommes dans sa tête.

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C’est là qu’on voit toute la différence avec la série. La série est parvenue, étonnamment, à étoffer le personnage de manière à lui donner une dimension plus humaine (ça a un peu à voir avec le jeu de Penn Badgley, mais pas que). Les scénaristes de la série ont ainsi décidé d’ajouter des personnages à l’entourage de Joe, comme Paco, le jeune voisin qu’il aide dans la saison 1. Cela lui confère beaucoup d’humanité : on découvre un Joe gentil et altruiste, dans une sous-intrigue qui n’a rien à voir avec sa vie amoureuse et sexuelle (au début en tout cas). Paco n’existant pas dans le roman, le personnage de Joe apparaît plus monolithique, plus ancré dans son obsession des femmes. Certaines scènes et situations sont mieux développées dans la série, et comme on sait que Caroline Kepnes a travaillé très étroitement avec les équipes de Netflix, on a vraiment l’impression qu’elle a perfectionné son roman en l’adaptant, comme si Parfaite était un brouillon, et You la réalisation finale. Joe est plus ambigu, plus séduisant, tout en restant plus sombre, Peach est encore plus pétasse, les copines de Beck ont plus d’épaisseur, les galères financières de Beck sont plus présentes et contribuent au portrait global du personnage. Enfin, la résolution (qu’on ne détaillera bien sûr pas ici) est plus satisfaisante et mieux tournée dans la série, préparant habilement le terrain à la saison 2 (dont le début est très déstabilisant), alors que Parfaite peut se lire tout à fait comme un tome unique.

En somme, la lecture de Parfaite est mitigée. En dehors de toute comparaison avec You, on dirait sans problème qu’il s’agit d’un thriller habile et glauque, qui fait réfléchir à l’emprise que certains hommes ont sur les femmes, sur tout ce que nous révélons de nous sur les réseaux sociaux, sur le fait qu’on ne connaît jamais vraiment quelqu’un (même quand on l’espionne, même quand on pense l’aimer). Parfaite est terrifiant, car il nous dit que ce garçon en apparence si gentil, ce libraire, bon sang, est en réalité un psychopathe aussi bien capable de vous observer dormir dans votre lit, de collectionner vos tampons hygiéniques usagés, que de buter votre plan cul pour être sûre que vous passiez à autre chose. Parfaite nous apprend à rester sur nos gardes, toujours. You, la série, romantise tout ça. Le message est terrifiant. Avec sa belle gueule, Penn Badgley nous fait presque oublier l’horreur de son personnage. Millie Bobby Brown, la jeune interprète d’Eleven dans Stranger Things, le prouve quand elle défend Joe, et juge la série « romantique » : « he’s not creepy, he’s in love with her » dit-elle avec enthousiasme. Alors oui, Joe est bel et bien amoureux (bien que la profondeur de ses sentiments pose question, vu comme il change de proie somme toute facilement). Mais creepy ? Il l’est indéniablement. Et toute bien ficelée et addictive que la série soit, il ne faut pas l’oublier.

Parfaite, Caroline Kepnes. Pocket, 2016. Traduit de l’anglais par Camille de Peretti.

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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