« Elle marchait sur un fil » (P.Delerm), Un numéro d’équilibriste

Auteur de La Première Gorgée de bière ou les Jours de lumière (Prix des Libraires, 1997), Philippe Delerm fait, avec ce nouveau roman, le pari difficile de se prendre au jeu du funambule quitte à parfois laisser son lecteur tomber de haut.

« Agnès était encore belle. Marie était encore jolie. Elles le savaient, comme elles savaient la mélancolie de cet encore ». A 50 ans, Marie a été comme ceci, rêvait de cela mais aujourd’hui, il ne lui reste plus que la nostalgie dans une vie où elle doit apprivoiser celle qu’elle voudrait éviter : l’extrême solitude. « Une vraie humanité, oui, mais à quoi bon cette jovialité passante si les saveurs, les couleurs n’étaient pas destinées à des moments d’ensemble ? ».

Après le bonheur, la résignation

 « Elle avait eu très fort à cette époque le sentiment d’une plénitude, mais aussi celui d’une fragilité extrême. Tout pouvait arriver. Souvent, elle se disait : « Je ne serai jamais plus heureuse que maintenant » Et aujourd’hui, elle se donnait raison. Elle songeait parfois que c’était la seule chose dont elle était fière. Avoir su dire je ne serai jamais plus heureuse que maintenant ». Dans la séparation avec son mari, puis dans l’éloignement de son fils mais qui « restait aussi tendre que l’enfant, l’adolescent qui avait traversé sa vie bien trop vite », Marie n’y voit que regrets et désillusions. « Dans toutes les choses de la vie, elle ne se départait pas, elle ne se départirait pas d’une gestuelle dont elle s’était imprégnée naturellement, mais qui n’avait de sens que pour plaire à  Pierre. Il lui arrivait à présent de se regarder bouger, et de se demander pourquoi elle bougeait encore ainsi ».

Ce sont donc une multitude de manques, tant dans sa vie personnelle que professionnelle, que Marie doit combler. La réflexion sur le monde de l’édition apportée par l’auteur mène à la rencontre, mêlée de jalousie et d’admiration, de Marie avec la jeune auteure en vogue, promus sur le devant de la scène pour son ouvrage intitulé Le Monde à portée de main. Ce livre, c’est celui qu’elle même aurait rêvé d’écrire. « Et puis, ce tourment sourd qu’elle avait toujours senti en elle, ce besoin d’exister autrement que dans la vraie vie, était-ce un livre ».

Un jeu de miroir que l’on pourrait plus généralement appliquer au roman dans son intégralité. Les nombreuses allusions à Proust et tout particulièrement d’A la recherche du temps perdu, plus qu’un hommage, sonnent comme une pointe d’envie. A travers ces reprises, c’est comme si P.Delerm se justifiait et nous disait « moi aussi j’aurais pu ».

 Sous le feu des projecteurs

Marie partage une relation particulièrement privilégiée avec sa petite-fille Léa qu’elle sensibilise à l’univers du monde du spectacle. Un engouement qui inquiète Etienne, le père de la petite qui ne veut pas qu’elle la persuade que c’est « le seul univers d’accomplissement véritable ». Il reproche à Marie dans une moquerie « c’est un peu Le Cercle des poètes disparus à l’envers ». Lui-même ayant abandonné sa passion pour le théâtre, elle se remémore encore et toujours le succès qu’il a connu avec son spectacle Avant. « Fidèle à son titre, la pièce était aussi une réflexion sur l’intensité de tout ce qui se passe avant, tout ce qu’on attend, ce qu’on espère. (…) un spectacle qui affirmait la primauté du spectacle sur la vie réelle – tout ce qu’elle éprouvait au plus profond d’elle sans oser le formuler ainsi ». Délaissant son jeu sur les planches pour un métier (alimentaire) de décorateur d’intérieur, Etienne fait aussi une place à la magnificence du quotidien, y voit une certaine grâce : « (…) c’est vraiment un travail de création. On rencontre des gens, on essaye de les voir tels qu’ils sont et peut-être même tels qu’ils voudraient être ».

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Une renaissance ?

 Lorsqu’une troupe de jeunes comédiens vient à Marie pour monter un spectacle, c’est dans l’énergie du dernier élan, d’une dernière occasion à saisir, qu’elle va s’abandonner au projet. « Un fil de funambule tendu à travers l’espace de la scène, et qui la diviserait dans tous les sens, créerait un en-deçà, un au-delà, une envie d’aller quelque part pour le danger d’aller quelque part… (…) Ils se regardèrent. Heureux. Intimidés. Voilà. Ils allaient inventer Le Fil ».

Malheureusement, l’auteur marche lui aussi sur la corde raide. Si certains passages tendent vers une justesse quasi parfaite, d’autres basculent dans une banalité telle que l’on connait déjà la suite du  paragraphe avant même de l’avoir lu. Si Marie subit sa vie et ne cesse de projeter sur les autres les rêves qu’elle s’est interdit de réaliser, le lecteur reste sur une impression d’inachevé.

Elle marchait sur un fil, Philippe Delerm. Le Seuil, 2014.

 Capucine Michelet

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