Cyrano de Bergerac, vu par Dominique Pitoiset

 Ce soir-là sur la scène de l’Odéon on pouvait voir un décor clinique éclairé d’une lumière crue,  quelques chaises en skaï, une vielle armoire métallique et un juke-box clignotant.  Un comédien est assis sur un gros fauteuil. Il est de dos.  D’autres acteurs entrent à tour de rôle sur scène par une porte battante. Ils errent  sur le plateau l’air hagard. Ils portent des T-shirts usés, des bonnets et des sneakers. Et puis soudain l’un d’eux prend la parole. Et là…  Surprise,  il s’exprime en alexandrin. Et surprise supplémentaire, le texte est l’un des plus grands classiques de la littérature française, à savoir Cyrano de Bergerac. Cette idée folle de transposer cette œuvre dans un asile psychiatrique, car il s’agit d’un asile, revient à Dominique Pitoiset.

Un petit résumé de l’intrigue :

Il s’agit d’un classique, mais je vais tout de même faire un petit résumé de l’intrigue au cas où vous ne verrez pas pourquoi il est si étrange de situer Cyrano de Bergerac dans un hôpital psychiatrique. Cyrano ne se limite évidemment pas à  la fameuse tirade du nez… Vous savez cette phrase légendaire : « ce n’est pas un nez, c’est un pic, un cap, que dis-je une péninsule ! » Cyrano de Bergerac est un véritable monstre théâtral d’une longueur démesurée à l’image de l’appendice nasal de son héros. En règle générale on réduit l’intrigue à l’histoire d’amour contrariée entre Cyrano, un homme de génie, poète et fin bretteur, mais malheureusement laid, et sa cousine Roxane, une jeune précieuse. Car malheureusement, la belle est éperdument amoureuse d’un  jeune cadet de Gascogne,  Christian. Il est jeune, il est beau. Roxane ignore néanmoins une chose de Christian : il est sot. Christian cependant n’est pas si bête que cela puisqu’il sait pertinemment qu’il n’est guère brillant. Il fait alors appel à Cyrano pour écrire à sa chère et tendre une lettre digne de ce nom.  Cyrano saute littéralement sur l’occasion : il va pouvoir vivre son amour par transposition. Il propose alors  à Christian un pacte : il sera sa plume, son esprit, il écrira à Roxane toutes ses lettres d’amours.  Christian d’abord un peu surpris finit par accepter,  trop content de pouvoir trouver une solution à son problème.  Non sans difficultés il finit par réussir à séduire Roxane. Le couple improbable semble prêt à filer le parfait amour. Mais sur ce éclate la guerre, Cyrano et Christian partent pour le siège d’Aras… Et je ne vous révèle pas la suite.  Pour connaitre la suite de leurs aventures, je vous conseille de lire la pièce.

Cyrano, un bipolaire  proche d’Alceste :

Cyrano peut facilement être réduit à une belle image d’Epinal faite de mousquetaires, de poésie et d’intrigues de cours. L’idée de transposer Cyrano dans un hôpital psychiatrique est donc tout à fait originale. Certes sur le papier cela peut paraitre être un truc de metteur en scène, une façon un peu facile de dépoussiérer un classique, de faire son intéressant en citant Jack Nicholson et Vol au-dessus d’un nid de coucou.  Mais c’est loin d’être tout à fait gratuit. Monter Cyrano dans un asile est réellement une belle idée… Une belle idée un peu mystérieuse.

  L’on ne sait effectivement jamais pourquoi ces fous s’expriment par alexandrins. Nagent-ils en plein délire ? Sont-ils en train de se prendre pour des personnages de théâtre ? Pourquoi revivent-ils cette pièce ? Pitoisset ne donne pas de clef et laisse le spectateur libre d’élaborer ses propres hypothèses. A lui d’accepter ou non ce parti pris assez radical. Ce choix fonctionne plus ou moins bien. Le gros problème de Cyrano reste la multiplicité des lieux : duel en pleine rue, rendez-vous galant au pied d’une tour, bataille dans la plaine d’Arras… Pitoiset règle la question en situant toutes ses scènes dans l’asile. On évite ainsi pour le siège d’Arras la lourdeur d’une mise en scène trop illustrative avec acteurs en armures l’épée à la main. Mais on sent dans cette partie de la pièce comme un petit flottement. L’on ne sait plus trop où l’on se trouve… Et le contexte guerrier est esquissé à grand trait… A peine quelques petits coup de feu de-ci, de-là,  un patient enfile une armure… Et voilà le tour est joué.

Néanmoins, cela reste une belle idée comme je disais. Pour justifier son choix, Pitoiset évoque le tempérament de Cyrano : à l’image d’Edmond de Rostand, l’auteur de la pièce quelque peu maniaco-dépressif,  il serait bipolaire. Cyrano serait ainsi pris entre des phases de mélancolie et de colère et des phases d’euphories complètes. Ses débordements verbeux seraient de l’ordre de la  névrose. En phrasant et rimaillant Cyrano chercherait refuge dans la plénitude du verbe.

Cette interprétation en rendant Cyrano plus vulnérable débarrasse la pièce  de ce qu’elle peut avoir d’emphatique, le côté phraseur du personnage amenant souvent une forme de sur-jeu.  On a un bel exemple prouvant que Cyrano pouvait être joué avec simplicité. Néanmoins elle gomme le côté guerrier et bravache. Non que Cyrano devienne tout à fait mou. Bien au contraire. Mais il n’a pas le brillant et la gloriole que l’on associe en règle générale à Cyrano. Il est sombre, mauvais garçon. Rimailleur émérite, il n’a pourtant pas l’élégance d’un dandy : Torreton porte pour le rôle un marcel blanc, il a le crâne rasé, et il s’est laissé pousser une moustache. Il est tour à tour ombrageux, mordant et presqu’agressif. Pitoiset dit voir en Cyrano une sorte d’Alceste, un autre atrabilaire. Et il vrai que le rapprochement entre les deux personnages est on ne peut plus pertinent. On peut effectivement penser à la fierté du Misanthrope en écoutant la fameuse tirade des « non merci » dans laquelle Cyrano fait l’éloge de la liberté et de l’indépendance.

Et c’est vrai que situer Cyrano dans un asile jette un éclairage original sur la pièce. Cyrano dans cette interprétation devient un inadapté, un laissé pour compte.  Son opposition systématique aux grands de ce monde en a fait un marginal.

Un asile heureux :

Des dépressifs et des mélancoliques ce n’est pas un spectacle très gai diriez-vous. Pourtant cette mise en scène n’est jamais sombre ou malsaine. Il faut dire qu’on a affaire à une forme de folie douce. On n’est pas en face de grands torturés. Le choix a été fait de traiter leur folie de  façon assez uniforme.  Ils n’ont pas de mania particulière. On évite les clichés, mais cela génère une certaine frustration… On se dit qu’ils auraient pu avoir l’air encore bien plus fous…

Mais dans Cyrano la folie des personnages est surtout un prétexte  de jeu. Le décalage entre virtuosité verbale du texte et l’air un peu hagard des personnages est vraiment délicieux. Les acteurs jouent à fond la carte comique. Ils en rajoutent à coup de mimique, de gestes plus ou moins explicite, plus ou moins vulgaire (ça ne plait pas à tous…), en commentaires non verbaux. Il semblerait que les comédiens se soient amusés sur le plateau.

Eh oui cette version est particulièrement drôle. Cela marche bien sur ce plan-là, mais cela se fait parfois au détriment de la finesse et la subtilité de l’interprétation. Il y a un choix assez intéressant qui est fait pour Cyrano, néanmoins les autres personnages sont traités avec moins de profondeur. Et ceci ne remet pas en cause le jeu des comédiens. Ils sont tous très bons. Néanmoins, ils paraissent donner une tonalité, une couleur de jeu et ne pas s’en défaire. Et c’est sur ce point-là que porte la polémique : il n’y en aurait que pour Torreton. Il est vrai qu’il livre dans cette pièce une performance assez exceptionnelle.  Torreton, une vraie bête théâtrale réputée pour en faire des caisses,  réussit à camper un Cyrano tout en subtilité. Son engagement est assez impressionnant.

Les autres acteurs tentent de faire exister leurs personnages. Il serait néanmoins très exagéré de dire qu’il littéralement écrasés par le rôle-titre comme ça peut parfois arriver. Daniel Martin,  l’acteur interprétant le duc de Guiche par exemple, ne s’en tirait pas trop mal dans la première partie… Mais lors de la bataille d’Aras, le metteur en scène a pris la décision d’en faire un général hystérique débitant son texte à toute vitesse. L’acteur a beau être bon, ce choix ne fonctionne pas. On ne le suit plus.  Quant à Roxane –jouée par Maud Wyler –elle  a un jeu  a priori assez efficace et convaincant. Mais elle tend à donner un traitement assez uniforme à son personnage (est-ce un choix de mise en scène ?) et elle conserve le même type d’énergie durant toute la pièce. Elle  a néanmoins son petit moment de bravoure lors d’un véritable petit moment d’anthologie de la scène de l’appel via Skype.

Que vient faire Skype dans une comédie héroïque du XIXème siècle ? C’est que Pitoiset use de bonne grosses ficelles bien rodées : un juke-box permet de diffuser de la musique pop, et une des scènes d’amour est jouée via Skype…Il gagne ainsi la complicité du public… Et il faut dire que ça  marche bien.  Cette pièce conserve un bon rythme. La mise en scène est d’une belle  fluidité, ce qui n’était pas gagnée d’avance vu l’ampleur du morceau.

 Par Laetitia

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