La réputation de Luis Sepúlveda n’est plus à faire : ses romans ont souvent été primés et ses publications sont très attendues. En ce premier semestre 2015, Métailié publie un recueil de nouvelles, L’Ouzbek muet et autres histoires clandestines.
Il était une fois, dans les années 60 du siècle dernier, des pays où la politique occupait une place primordiale dans la vie des jeunes gens. Au Chili comme ailleurs, le langage était codé et les slogans définitifs.
Mais on est très sérieux quand on a dix-sept ans à Santiago du Chili et qu’on s’attaque au capitalisme avec un succès mitigé. On peut monter une opération contre une banque pour financer une école et utiliser toute la logistique clandestine pour trouver du lait en poudre pour empêcher un bébé de pleurer ; chanter Blue Velvet en plein hold-up pour que les clients présents dans la banque n’aient pas peur ; se tromper d’explosif et rentrer à pied ; préférer la musique américaine à la dialectique marxiste pour séduire les filles ; apprendre le taekwondo qui rend les Coréens du Nord invincibles et trouver contre leur champion des solutions créatives…
Point commun de ces personnages : tous, ou presque, ont des velléités de révolution et des envies d’en découdre. Qu’ils soient à Santiago du Chili ou perdus en Russie, ils ne se laissent pas abattre. Ces Histoires clandestines ont toutes un petit relent de nostalgie, celle d’un temps où l’on pouvait s’enthousiasmer sans limites pour un projet un peu fou et où l’on pouvait être jeune sans se poser de questions.
À leur manière, ces nouvelles sont toutes irrésistiblement drôles : que l’on pense au braqueur qui joue de la guitare pour apaiser les braqués, à l’opération commando pour trouver du lait en poudre, à l’incident diplomatique avec la Corée ou à l’épopée du condor nommé « Che », il y a de quoi s’amuser. Certaines sont moins joyeuses, comme celle qui termine l’ouvrage, « Le Déserteur » et qui évoque des souvenirs de guérilla, dans lequel on croise à nouveau Che Guevara.
Ainsi, le recueil oscille entre deux tendances : d’un côté, la tendresse paternaliste qui prête à sourire et, de l’autre, les destins éminemment tragiques cachés derrière les lignes. Si les personnages sont des idéalistes souhaitant changer les choses, difficile d’oublier que bon nombre a perdu la vie pour ces combats et que les dictatures sont venues, les unes après les autres, saper ces idéaux et initiatives.
Si toutes les nouvelles n’atteignent pas la même fulgurance, ces neuf nouvelles ayant pour cadre le Chili et l’Amérique latine des années 60 et 70 baignent dans une mélancolie tendre, propice à l’évocation à la fois humoristique et tragique de ces idéaux révolutionnaires perdus et rendent un sublime hommage tout en pudeur et poésie aux hommes et femmes de la révolution. L’émotion guette au détour des pages, le plus souvent sans qu’on s’y attende. Une chose est sûre, Luis Sepúlveda n’a rien perdu de son talent !
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