Un roman d’adieu : Anna Madrigal

Anna Madrigal, Armistead Maupin

NEVADA — Les habitants de Barbary Lane sont devenus au fil des romans d’Armistead Maupin comme de vieux amis. À leurs côtés, nous avons découvert l’incroyable San Francisco des années 70, par le regard de Mary Ann Singleton, venue tout droit de Cleveland chercher une vie moins ennuyeuse. Quand elle s’est installée au 28, Barbary Lane, sous la houlette de l’incroyable Anna Madrigal qui accueille chacun de ses locataires par un joint d’herbe maison, elle a fait des résidents de l’immeuble sa nouvelle famille : l’audacieuse Mona, le sensible Michael et Brian le séducteur.

Au fil des tomes, nous avons vu tout ce petit monde s’aimer, vivre, et parfois, mourir. Quand le septième tome des Chroniques de San Francisco est sorti, cela devait être le dernier. Mais Armistead Maupin n’a pas pu laisser ses personnages comme ça, des personnages qu’il faisait vivre et évoluer depuis trente ans : dans Mary Ann en automne, il consacrait ainsi son huitième tome au retour de Mary Ann à San Francisco, après son divorce et la découverte du cancer qui la rongeait. Avec Anna Madrigal, c’est le baroud d’honneur de la vieille propriétaire du 28, Barbary Lane qu’il signe.

Anna Madrigal. Peut-on imaginer personnage plus emblématique des Chroniques de San Francisco ? À quatre-vingt-douze ans, la vieille dame sait que sa vie touche à sa fin. Avec Brian et sa nouvelle compagne, elle va entamer un voyage sur les traces de son passé : retour à Winnemucca, Nevada.

C’est de cette petite ville perdue dans le désert qu’elle s’est enfuie en 1936, quittant pour toujours la maison close que tenait sa mère, à l’époque où Anna s’appelait encore Andy, et était un garçon. Armistead Maupin lève enfin le voile sur la genèse d’un de ses personnages les plus réussis, et nous n’avons que deux choses à dire : ENFIN et MERCI ! Merci, car la partie du roman consacrée au passé d’Anna est des plus réussie et passionnante. Cela faisait longtemps que le lecteur rêvait d’en savoir plus sur le passé d’Anna : un garçon qui a grandi dans un bordel du Nevada dans les années 20 et 30 ne peut qu’avoir des choses intéressantes à dire ! À côté, les sous-intrigues du roman paraissent bien insignifiantes : nous suivons Michael et son mari à Burning Man, le célèbre festival, également dans le Nevada, et découvrons les envies d’enfanter de Shawna, la fille de Brian et de Mary Ann. De fait, la grande majorité de cet ultime tome des Chroniques de San Francisco ne se passe pas à San Francisco, ni même en Californie.

Alors que Michael vit mal le fait de vieillir, et de mourir dans un avenir plus ou moins proche (atteint du Sida, il est hélas en sursis depuis plusieurs tomes… les lecteurs des Chroniques se souviennent tous avec beaucoup d’émotion du décès de Jon, son compagnon, plusieurs volumes auparavant), Anna, elle, semble résolue à faire ses adieux au monde. Armistead Maupin nous livre alors des pages très émouvantes. Il joue avec nos sentiments sans vergogne ! Il est touchant également de constater à quel point Anna est aimée par l’ancienne troupe de Barbary Lane, mais également par la nouvelle garde : Jake, Amos, Wren… Au fil des années, Anna Madrigal est devenue une véritable légende au sein de la communauté LGBT de San Francisco.

Bien qu’Armistead Maupin nous ait déjà dit par le passé qu’il signait là la fin des Chroniques de San Francisco, avant de publier finalement un nouveau tome, il s’agit là visiblement bel et bien du dernier volume des aventures de nos héros san-franciscains préférés. Nous les quittons donc avec beaucoup d’émotion. Merci, Armistead !

Anna Madrigal, Armistead Maupin. Editions de l’Olivier, avril 2015. Traduit de l’anglais par Bernard Cohen.

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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