Un roman dérangeant : Citrus County

Citrus County, John Brandon.

FLORIDE — Citrus County est l’incarnation de la banlieue en Floride, loin des parcs d’attraction d’Orlando ou du gratin de Miami. Il y fait chaud, moite, et on l’y sent isolé du reste du monde. C’est de ce point de départ qu’est lancée l’intrigue de Citrus County. Dans une petite ville de Floride, rien ne se passe comme cela devrait. L’intrigue s’axe autour d’un trio de personnages peu communs, et même déjantés. L’un est professeur, mais a l’impression de flouer son entourage en feignant d’être pédagogue. Il caresse secrètement l’idée d’assassiner sa collègue, véritable parangon de vertu enseignante. Un autre est un adolescent un peu voyou, qui rêve d’enlever la petite sœur du dernier membre du trio, Shelby, une adolescente intelligente mais un brin nymphomane.

Toby est un jeune garçon un peu à part. Il vit dans les bois avec son oncle, un homme qui n’a rien de bienveillant et semble aux portes de la folie. Il croise tous les jours Shelby. Elle est belle, intelligente. Toby se sent presque agressé par sa présence. Un jour, il commet l’impensable : il enlève Kaley, la sœur de Shelby, âgée de quatre ans.

À partir de ce fait divers odieux, John Brandon dresse le portrait sans concession d’une ville où pas un habitant semble plus sain d’esprit que les autres. M. Hibma, le professeur, met un point d’honneur à contrarier ses collègues et regarde le monde avec un ennui si profond qu’il en vient à fantasmer sur le meurtre d’une de ses collègues. Toby, lui, voudrait être « sauvé ». Les deux hommes cherchent une rédemption et un sens à la vie, même si pour cela, ils sont prêts à l’ôter à d’autres. Toby vit dans un monde où personne ne le remarque. Orphelin, il peut disparaître des heures entières dans les bois sans susciter d’émoi de la part de son entourage. « Toby avait le cafard ». C’est ce qui va le pousser à un acte violent, dans une inconscience et une insouciance parfaite. Pas une seule fois Toby n’aura de scrupules moraux. Tout juste la sensation diffuse d’avoir commis une erreur. Si Shelby était sauvée ou décédait, il serait finalement libéré d’un poids : « Il pourrait redevenir un petit idiot de voyou avec juste assez de poison au cœur pour se rendre ridicule. »

Citrus County, John Brandon, Le Masque

Shelby, une des victimes directes de l’acte de Toby, perd progressivement l’envie de vivre quand sa sœur est enlevée. La jeune fille réagit violemment et se rebelle, accumulant les actes grossiers, voire méchants. Elle se rapproche sans le savoir du kidnappeur de sa sœur, augmentant d’un cran la tension, déjà presque palpable, que l’on perçoit entre les pages. On se révolte en songeant qu’elle est prête à donner un baiser, voire son corps, au garçon qui a ruiné sa vie. Aux premiers émois de l’adolescence se mêlent l’horreur, l’inconscience, la violence. Pourtant, on ne parvient pas à haïr Toby.

Citrus County est un livre profondément dérangeant, en montrant à quel point un crime, quel qu’il soit, est facile à commettre. Le lecteur se sent de plus en plus oppressé par le récit, mais est happé par l’histoire. Les personnages sont doubles, et endossent tour à tour l’habit de bourreau ou de victime. Le malaise du lecteur est omniprésent, et pourtant, il dévore ce livre dont il ne peut qu’admirer l’humour noir.

Citrus County, John Brandon. Le Masque, 2012. Le livre de poche, 2013. Traduit par Denyse Beaulieu.

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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