L’Âge d’or : impitoyable New York

L'Âge d'or, Renée Rosen

ROMAN HISTORIQUE — The Gilded Age à New York fait l’objet de nombreuses fictions : récemment, on peut citer la nouvelle série de Julian Fellowes et moins récemment, les romans d’Edith Wharton. Le roman de Renée Rosen, intitulé L’Âge d’or, rend également compte de cette période très particulière, extrêmement faste, qui fascine encore plus d’un siècle après sa fin. En donnant vie à deux des personnages féminins de l’époque (Alva Vanderbilt et Caroline Astor), Renée Rosen s’empare avec brio de trente ans de la vie sociale new-yorkaise.

Caroline Astor, née en 1830, a fait la pluie et le beau temps sur la haute société new-yorkaise presque pendant toute sa vie adulte. Issue d’une lignée prestigieuse qui remonte à New Amsterdam, c’est elle qui décide qui adouber ou qui ostraciser. À défaut d’une monarchie américaine, c’est elle la reine de New York. De son côté, Alva Vanderbilt ne vient pas tout à fait du ruisseau, mais après une enfance aisée, sa famille a connu la disgrâce de la ruine. Mais, quelques années après la fin de la guerre de Sécession, Alva a tiré le bon numéro en épousant un héritier Vanderbilt, à la fortune colossale. Mais les Vanderbilt sont des nouveaux riches, vulgaires et tapageurs, et il n’y a rien que Caroline Astor réprouve davantage. Alva va devoir faire des pieds et des mains pour se faire accepter, quitte à en faire le combat de sa vie.

Bienvenue chez les ultra riches, chez les gens de bon goût comme chez ceux qui donnent des bals indécents : Renée Rosen donne vie à une période de l’histoire new-yorkaise qui semble bien lointaine aujourd’hui. La description des événements sociaux, des tenues de ses dames, des moeurs de l’époque est exécutée avec brio : le lecteur a l’impression d’y être, il retrouve le côté impitoyable de la société de l’époque telle qu’il la découverte dans Chez les heureux du monde qui sont, finalement, loin d’être aussi heureux que cela. L’argent et le statut social, ici deux choses très différentes, font-ils le bonheur ? Pas vraiment.

En effet, d’un côté Alva se caractérise par une ambition et une avidité sans fond : le personnage est cependant hautement attachant, car l’autrice veille bien à expliquer la genèse de cette voracité. De l’autre, Caroline Astor paraît de prime abord guindée, froide et monolithique, mais au fur et à mesure on comprend qu’elle n’est que le produit de son époque, de son éducation, d’un temps qui, peu à peu, s’efface pour produire le XXe siècle. Ont-elles vraiment été heureuses ? Probablement pas. Minée par les deuils successifs, par un mariage finalement peu heureux, par la conscience inéluctable de vieillir et de s’effacer progressivement face à d’autres, Caroline fascine autant qu’elle suscite la pitié du lecteur. Alva, quant à elle ? Si Caroline est un pur produit du début du XIXe siècle, Alva semble parfois bien en décalage avec son époque. Féministe avant la lettre, elle rêve de s’affranchir d’une société rigide et patriarcale. Qu’aurait été sa vie si elle était née un siècle plus tard ?

Il n’y a rien de frivole dans ce récit, qui est bien loin de se limiter à l’incessante litanie des bals, des dîners et des soirées à l’opéra. C’est le portrait réaliste, parfois tendre, tantôt sévère, d’une époque de bouleversements, où la modernité en marche rebat sans cesse les cartes. De nouvelles fortunes se font. Les temps changent. Les moeurs évoluent. Ce qui était impensable une décennie auparavant devient presque commun. Au coeur de cette ère de changement brille un portrait précis de l’évolution de la femme sur la période : l’émergence des suffragettes, d’un rêve qui ne soit pas domestique, du désir d’être heureuse, de pouvoir divorcer, de s’affranchir de la tutelle masculine.

C’est un roman historique de haute volée (ayant lu l’excellent Park Avenue Summer de la même autrice, je n’étais pas vraiment étonnée de retrouver le même talent), aux accents féministes indéniables, qui plaira à tous ceux qui ont aimé La Petite Sauvage, les romans d’Edith Wharton ou encore la saga young adult The Luxe. Le New York des puissants est un nid de vipères ou, sous un vernis de prospérité et d’opulence, il faut vaincre ou périr. Gossip Girl, cent ans plus tard, n’a rien inventé : tout ce qui fait le sel de la série était déjà là au Gilded Age.

L’Âge d’or, Renée Rosen. Belfond, mars 2022. Traduit de l’anglais par Élisabeth Peellaert.

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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