Eugenides, le retour !

Certains auteurs savent se faire désirer et n’écrive qu’un roman par décennie, comme Tom Wolfe, ou Jeffrey Eugenides. Après le succès de Virgin Suicides, adapté au cinéma, et de l’excellent Middlesex, Jeffrey Eugenides nous a fait la surprise de son retour début 2013, aux éditions de L’Olivier avec Le Roman du mariage, centré sur un triangle amoureux. A l’heure où le mariage a cessé d’être un véritable ressort dramatique pour le roman contemporain, Jeffrey Eugenides remet au goût du jour l’art de l’intrigue à l’anglaise.

1982 : pour Madeleine, Mitchell et Léonard, c’est l’heure de la remise des diplômes, après quatre ans d’université sur la côte est. Madeleine est une jeune femme sage, qui aime les romans victoriens, et étudie pour son mémoire de fin d’études le roman matrimonial à l’époque de Jane Austen et de George Eliot. Autour d’elle se noue un triangle amoureux : un femme, deux hommes. Quel choix Madeleine fera-t-elle entre le séduisant mais ténébreux Léonard, rongé par la déprime, et Mitchell, le gendre idéal passionné par l’étude des religions ?

Tous trois font l’apprentissage de la vie adulte. Madeleine s’éprend de Léonard, et Mitchell tombe fou amoureux de Madeleine. Mais le passage du cocon universitaire au monde adulte ne fait pas de cadeaux.

Jeffrey Eugenides réinvente le roman du mariage, celui-là même qu’étudie Madeleine en se penchant sur les œuvres d’Edith Wharton ou de Jane Austen. Contrairement au schéma du roman matrimonial traditionnel, Le Roman du mariage ne se clôt pas sur un « et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants », sur l’image même d’un ménage heureux. Car, dans la vraie vie, dans les années 1980, cela ne se passait pas forcément ainsi. Ce triangle amoureux, de classique, sert bientôt de toile de fond à l’analyse que fait Eugenides de la complexité des relations humaines : car il n’y a pas que l’amour qui guide nos actions, mais également notre égo, l’attirance sexuelle, ou encore nos idéaux. Des idéaux, Mitchell n’en ai pas dépourvu, bien au contraire. Attiré par la spiritualité, Mitchell perçoit Madeleine comme l’archétype même de ce qu’il souhaite chez une femme. Belle, intelligente, indépendante, Madeleine est également inaccessible. Tout serait bien plus simple pour elle si elle avait su retourner ses ardeurs à Mitchell : celui-ci, gentil garçon, ami loyal, était sans nul doute le choix de la raison. Léonard, lui, fait figure de héros romantique, sombre, torturé, vite mis à mal par les symptômes cliniques dont il souffre, car il se révèle bien vite maniaco-dépressif. Bien vite, il énerve le lecteur, qui voudrait être plus bienveillant à son égard.

Roman magistral, Le Roman du mariage dresse également un portrait complet de la vie universitaire américaine dans les années 80. On s’y croirait presque : ces étudiants enthousiastes découvrant la pensée de Barthes, le défilé des étudiants en toge le jour de la remise des diplômes, les professeurs passionnés, tout ces petites touches contribuent à construire un roman solidement ancré dans la tradition américaine universitaire. Si cela n’était pas Jeffrey Eugenides, on applaudirait à tout rompre ce roman que l’on dévore, mais puisque c’est le célèbre auteur de Virgin Suicides, et de Middlesex, on ne peut s’empêcher de ressentir une légère pointe de déception car on avait préféré tout de même Middlesex.

Le Roman du mariage, Jeffrey Eugenides. L’Olivier, 2013.

Par Emily

A propos Emily Costecalde 1036 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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