La Jalousie, Trompez qui vous voudrez

Pour le réalisateur Philippe Garrel, faire tourner ses propres enfants « cela implique un certain type de sujets. On ne peut pas traiter de l’amour physique, mais de l’amour mystique, de l’amour fou, oui ». Parce que La Jalousie c’est bien sûr avant tout une question d’amour mais aussi de l’incertitude et la crainte indissociables qui l’accompagnent. Louis (Louis Garrel) est comédien. Il aime Claudia (Anna Mouglalis), comédienne elle-aussi, pour qui il a quitté la mère de sa fille. Mais Claudia a peur qu’il la quitte à son tour. Elle rencontre un architecte et cette fois-ci c’est Louis qui commence à s’inquiéter. Le couple ne se résume plus à deux, il doit compter avec les partenaires passés et les tentations futures.

 Avec ce dernier film, Garrel saisit l’intime, l’impalpable, le fugace : il offre les premiers rôles non pas à des acteurs, mais à leurs sentiments. Un choix qui détermine l’atemporalité du film. L’expérience ne tend pas à faire évoluer la situation mais l’intrigue suit le rythme des envies. Une oscillation entre la violence du choc tonitruant d’une rupture et la surprise qui naît dans un « je t’aime ». Les sentiments dépassent les personnages et subsistent dans l’absence de l’autre. Dans un silence hésitant, on guette le bruit des pas qui se rapprochent, dans l’espoir que se soit ceux de quelqu’un qui reviendrait. Les nôtres se font plus pressants quand on court pour retenir celui qu’on croit nous échapper.

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Les contours sont floutés, l’image contrastée, un recours au noir et blanc charbonneux (travail du directeur de la photographie Willy Kurant) qui inscrit cette histoire dans l’universalité. Un contraste entre le cadre contemporain et la profondeur d’un sujet intemporel tel que l’amour et le questionnement de soi, de sa place et de son identité. Un traitement visuel qui rappelle l’errance de Frances Ha (réalisé par l’américain Noah Baumbach). Peu de costumes, un décor dénué de tout pour nous rappeler que leur histoire est la leur mais un peu aussi celle de tout le monde. Sans juger ou servir de discours moralisateur, Philippe Garrel observe sans juger et fait résonner l’écho de sentiments internes chez le spectateur ravivant souvenirs et projections. On regarde par le trou de la serrure comme la petite fille qui observe ses parents, projetés dans une intimité tout en gardant une certaine distance.

« On a tous des craintes, des barrières, des empêchements à aimer (…) Elle t’aime autant qu’elle le peut ». Garrel pose la question des limites d’un amour dit inconditionnel dont les règles du jeu sont sans cesse réinventées et les places incertaines. En amour, on occupe tous les rôles successivement : celui de l’amant trompé, celui qui est désaimé ou celui qui fait le choix de préserver le Je avant le Nous.

Lorsque son partenaire, amoureux passionné, l’interpelle « si on était infidèles, tu voudrais qu’on se le dise ? », Claudia lui répond, tout en lucidité, de sa voix grave et rauque « Moi ce que je veux c’est que tu m’aimes. Que tu sois avec moi quand on est ensemble ».  Abordé par un inconnu dans un bar, elle lui rétorque « J’aime le secret, les choses cachées. Ne me demandez pas mon prénom ni si c’est la première fois que je viens, je trouve ça vulgaire». Garrel soulève des thématiques sur le couple : peut-on tromper tout en continuant à aimer ? L’amour se construit-il dans un choix ou un renoncement ? Dans ce film, tout se joue aux embrasures de portes, celles qui s’entrouvent sur un espoir et qui claquent sur des désillusions. Entre dissimulation et amour sincère, se glisser dans l’interstice entre tolérer et subir.

 Par Capucine Michelet

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