La guerre d’hiver, un roman conjugal

Les dizaines sont l’occasion des crises et des bilans. Et soixante ans, c’est l’âge qu’aura Max Paul cet hiver. Il n’est plus l’intellectuel brillant et courtisé de sa jeunesse. Pas facile à accepter, d’autant que les circonstances ne l’aident guère : un corps qui se ramollit irrémédiablement, des motivations un peu usées, et l’écriture d’un livre impossible à terminer. Sa vie privée n’est pas plus excitante : son couple bat de l’aile sans se l’avouer, sa femme Katrina confirme sa tendance à tout régenter, et leurs deux filles trentenaires ont chacune leurs vies.

 À 59 ans et demi, il suffit alors de peu pour faire basculer l’existence de Max : un hamster, confié par ses petits-enfants pour les vacances, s’échappe de sa cage, et Laura, une ancienne étudiante, veut interviewer celui qui a été célèbre dans les années 90. Qu’est devenu le Max Paul, sociologue et professeur à l’Université de Heslsingfor, invité sur tous les plateaux de télévision, consacré en 1993 comme « le plus jeune intellectuel de l’année » par le magazine City, lui demande la jeune et jolie Laura pour le Helsingin Sanomat.

Et c’est bien ce que Max Paul se demande tout au long de ce roman. Cette question est aussi la clé de voûte de tous les personnages, parvenus à ces étapes de l’existence où l’on s’interroge sur nos idéaux, nos choix et nos actes.

Sous cette agréable chronique hivernale d’un couple parvenu à maturité, perce l’Histoire, celle qui a marqué durablement la Finlande actuelle, et qui fait dire à Max Paul  que « la guerre nous a tellement marqué qu’on continue à s’y référer quand on cherche des réponses à ses problèmes ».  Le titre du roman, La Guerre d’hiver, est le nom de la guerre lancée par l’Union soviétique en 39 pour récupérer des terres frontières et qui s’est soldée par une défaite de la Finlande en mars 1940.

La Guerre d'hiver

À l’image des relations refroidies entre Katrina et Max, les résultats de la Guerre d’hiver ont été mitigés, tous les belligérants étant perdants. La Finlande fut dépossédée de ses terres et de son potentiel industriel,  et l’URSS, énorme bloc qu’on croyait militairement dominant, avait montré ses faiblesses dans les offensives hivernales.

Le roman offre donc une intéressante mise en perspective entre un pays coincé au milieu de la Suède et de l’empire russe, successivement régi par les uns et les autres, et l’évolution d’un couple, avec ses tensions, conflits et complicités.

Le rythme du roman se calque sur celui de la Guerre d’hiver, de novembre à mars, puis au mois de juin suivant, mois qui, historiquement, marqua la reprise des hostilités avec la Guerre de continuation (1941) où la Finlande s’allia aux Allemands. 1947 redonnera l’indépendance à la Finlande, mais avec la paix seront négociés une énorme dette de guerre et une politique étrangère soumise à l’URSS. Ce que l’on a appelé la finlandisation.

Soit une période de neutralité sous influence…

Ce parallèle avec l’Histoire permet aussi d’aborder la structure de la société finlandaise, la place de la petite communauté suédoise de Finlande (5,5 % de la population), principalement installée autour de Helsingfors (Helsinki étant le nom finlandais de la capitale) et de l’Osterbotten. Le suédois est la deuxième langue officielle de la Finlande et l’auteur, le journaliste Philip Teir, appartient à cette minorité suédophone, qu’on a parfois qualifiée d’« élite intellectuelle ».

On touche ici un des points forts de ce roman : son effet miroir. La Guerre d’hiver fait ainsi le portrait d’une bourgeoisie finlandaise suédophone, mais aussi d’une génération devenue adulte dans les années 70, de l’Université à une époque où la sociologie et les sciences humaines étaient reines, du monde de l’art et de son enseignement, d’un pays européen à la démographie inquiétante ou encore des engagements militants d’aujourd’hui.

— Mais quelles sont nos priorités, demande un des membres du mouvement Occuppy, semblant condenser le propos du livre.

Une autre qualité de ce livre est de réussir à transmettre les préoccupations profondes des personnages par leurs actions : ainsi, Max, spécialiste de psychologie de l’évolution et qui a connu la gloire grâce à une enquête sur la sexualité des Finlandais, écrit un livre sur un sociologue du 19e dont le grand œuvre a été une histoire du mariage. Katrina, elle, cherche des solutions pour pallier le vieillissement et anticiper le déclin dû à l’âge. Enfin, le hamster finit au congélateur, métaphore de tout ce que chacun voudrait parfois enfouir sous la banquise.

C’est sans compter la petite Amanda, sorte de pythie irritante, qui ne se prive pas de partager et commenter ce qu’elle observe chez les adultes.

Son regard distancié, teinté de candeur et de lucidité, donne le ton du roman : pur, sans jugement ni concession. Sous un style sobre et une construction par focus sur l’un ou l’autre des personnages, percent l’humour et une grande tendresse de l’auteur pour ses personnages, notamment quand sont bousculés tous ces éléments disparates qui constituent une vie : l’enfance, les idéaux, la sexualité, la famille, le travail.

Cela n’exclut pas une certaine cruauté de l’auteur pour ses héros, qui s’embourbent et persistent dans ce qui va leur nuire, avec une férocité qui rappelle JC Oates. En écho à ce roman de la crise de vie, on pense à D. Lodge, P. Roth, L. Kashischke, ou encore R. Mistry.

Placé aux deux tiers du livre, le portrait du sociologue Max Paul par le biais de l’interview de Laura fait le bilan d’une vie entre recherches, travail et tentatives diverses pour trouver le bonheur. L’article se présente comme un récit enchâssé au cœur du roman, et son titre pourrait être une maxime, qui résonne pour les personnages et dans l’histoire de la Finlande :

La liberté totale n’est pas une solution.

La Guerre d’hiver de Philip Teir. Albin Michel, janvier 2015. Traduit du suédois (Finlande) par Rémi Cassaigne.

Par Isabelle

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