Yuval Pick, directeur du Centre Chorégraphique National de Rillieux-la-Pape depuis 2011, chorégraphe israélien à la renommée grandissante, créateur récompensé et reconnu, a repris, au début de l’année 2015, une pièce chorégraphique qu’il avait créée en 2014 : Loom.
Après avoir navigué de compagnie en compagnie (dont la Batsheva Dance Company, la Tero Saarinen Company, et la compagnie The Guests qu’il fonde en 2002), avoir beaucoup voyagé (d’Israël à Helsinki, en passant par Tel-Aviv, Londres, et Lyon…), après avoir pris part à de nombreuses créations (trop nombreuses pour être nommées sans être sélectionnées), et après avoir reçu un nombre considérable de prix pour tout ce travail chorégraphique et créatif, Yuval Pick a posé ses valises à Rillieux-la-Pape, au Centre Chorégraphique National.
Son travail est finalement varié et florissant, riche de ses expériences différentes autour de l’Europe, comme en collaboration inconsciente avec tous ces gens qui ont contribué à la construction de l’idée de la danse de Yuval Pick. Forte de rencontres avec des gens tels que Ohad Naharin, William Forsythe, Vera Mantero, Mats Ek, Russel Maliphant, ou encore Carolyn Carlson, sa conception de la chorégraphie et du corps, du corps dansant, se construit toujours en ébullition, dans une optique de recherche jamais absolue, toujours en train de se bâtir. Un travail toujours en évolution, en somme.
« (…) Mon approche de la danse tend plutôt vers la symphonie des identités juxtaposées, comme un assemblage de couches de sensations et d’émotions. Je suis fasciné par la capacité du groupe à transformer l’espace par l’addition organique des identités. Je travaille à faire interagir les corps, avec l’idée que chacun d’entre eux interroge le monde et sa propre essence, en se combinant aux autres. Il y a une réponse fondamentale sur soi à quêter dans la confrontation à l’altérité et c’est cette approche existentielle qui meut ma danse. (…) »
Dans son spectacle Loom, pièce pour deux danseuses créée en 2014 dans le cadre du festival Aire de jeu des Subsistances de Lyon, Yuval Pick revendique avoir créé la chorégraphie en amont, seule, autonome : « (…) La danse comme une partition de mouvement possédant son propre rythme. » Dans une représentation où l’on sent clairement la musique s’adapter au corps, et non-pas l’inverse qu’on a l’habitude de voir, on comprend que le rythme du corps est celui qui a guidé la création. Pour aider le spectateur à saisir la nuance, et sans doute pour aider les danseuses à accéder à cet état de corps-rythmique, les respirations des interprètes sont accentuées, créant en quelque sorte leur propre musique. Ici et là, les compositions pour piano de Nico Muhly s’ajoutent au mouvement, ponctuellement, laissant aussi à la danse une respiration nécessaire. Et le spectateur prend alors conscience totale de la dimension musicale et émancipée du corps qui n’a pas besoin du pianiste pour être révélée, mais qui s’en sert pour se modifier, se changer : les mouvements répétés transmettent une toute autre émotion qu’ils soient appuyés par leur propre rythme, ou par le rythme imposé par le pianiste. C’est là qu’est le contraste voulu par Yuval Pick : un seul mouvement, plusieurs interprétations, plusieurs sensations. Et dans ces mouvements répétés, justement, dans cette construction en « cadavre-exquis », les deux danseuses commencent par prendre conscience de leur propre corps, par se répondre, puis, peu à peu, par avoir besoin l’une de l’autre. Pourtant, aucun contact physique, peu de déplacements, mais un espace pratiquement invariable s’installe entre elles. Pas un espace qui les éloigne, non, mais un espace qui renferme tout le mystère de cette création, un mystère qu’elles deux partagent. Un mystère qui renferme leur silence et leur rythme, qui met leurs deux corps en corrélation.
Et dans cet espace, on trouve aussi une idée que Yuval Pick met beaucoup en avant à propos de Loom, le principe du souffle vital, de l’énergie et du mouvement axés sur le centre du corps. Dans des ondulations qui se complètent dans l’espace, les corps des danseuses prennent vie de l’intérieur, en restant toujours axés sur leur buste. Leurs bras, pratiquement toujours immobiles, répondent étrangement aux bras du pianiste, en mouvements frénétiques, et seules parties éclairées de son corps. Leurs pieds sont enracinés dans le sol, ne les contraignant finalement pas, mais leur permettant de se concentrer sur la source de leur énergie. Dans ce jeu de questions/réponses de corps, deux centres s’affrontent, s’attirent, et les gestuelles sont comme inspirées du plus profond du corps, comme non-contrôlées, vitales.
Pour Yuval Pick, l’espace entre les deux danseuses est au centre des questionnements qu’engendre Loom. Il est la source du mystère du silence et du rythme du corps, mais aussi de l’origine de ce rythme, de ces mouvements vitaux et centraux, ces pulsions.
Et, dans cette reprise de Loom moins d’un an après sa création, Yuval Pick décide d’associer la représentation à celle d’une autre reprise : PlayBach, créé en 2010 pour le Centre Chorégraphique National de Roubaix. Ici, un mouvement en trio se met en place, mais ne soulève pas les mêmes questions que Loom. Dans PlayBach, on a un fonctionnement de poids qui s’attirent et se rejettent, qui se tirent vers le bas, qui s’accrochent, se ralentissent, ou se poussent. Mais dans ce fonctionnement presque chimique, le spectateur à une envie beaucoup plus incontrôlée de trouver une narration. Dans un cadre de jeu carré dessiné sur le plateau, la problématique de la musique reste aussi centrale. Au lieu d’avoir un jeu entre silence et musique, entre rythme du corps et rythme du piano, on se trouve face à des interprètes qui gèrent eux-mêmes une playlist composée à l’avance avec les morceaux les plus connus de Jean Sébastien Bach. Yuval Pick nous avouera après la répétition générale que travailler la musique de la sorte peut poser problème dans les enchaînements et les transitions, laissant plus de place à l’erreur, au retard. Cependant, la relation entre danse et musique prend une autre dimension lorsqu’un danseur lui-même choisit et met en marche la musique sur laquelle il va danser.
Des questionnements aussi bien d’ordre corporels mais aussi plus larges au niveau de la danse, de l’interprétation, et du spectacle vivant, touchent la création de Yuval Pick. Ses interprétations de ces notions sont d’autant plus légitimes que ses expériences antérieures et la diversité de ses travaux lui donnent un très large panel d’inspirations. Il a d’ailleurs du mal à citer des chorégraphes qui l’auraient inspiré pour la création de Loom et PlayBach, trouvant réflexion dans des associations d’idées, de sources, d’images.
Yuval Pick semble alors être un « chorégraphe du quotidien », influencé par son environnement direct. Lorsqu’on lui demande si la musique est indispensable à la danse, il nous répond simplement que « non. Si on s’assoit dans un champ, dans le silence, sans parler, sans bouger, un rythme va se construire entre nous. »
La danse n’a jamais paru aussi accessible qu’auprès de Yuval Pick.
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