THRILLER PSYCHOLOGIQUE — « Lydia est morte » : telle est la première phrase de Tout ce qu’on ne s’est jamais dit, roman qui fait beaucoup de bruit depuis sa parution aux États-Unis. À la fois thriller et roman familial, explorant aussi bien les dynamiques du couple que l’identité américaine au coeur des années 70, Tout ce qu’on ne s’est jamais dit est un sérieux challenger pour le prix Relay, dont il est l’un des quatre finalistes.
Un matin, la famille Lee se rend compte que Lydia, seize ans, a disparu. On retrouve bien rapidement son corps au fond d’un lac voisin. Que s’est-il passé ? Suicide, meurtre, accident ? Celeste Ng nous plonge au coeur de cette famille endeuillée, utilisant à bon escient le ressort dramatique du flash-back, nous permettant ainsi de saisir la genèse d’un couple, avec ses forces et ses failles.
Marilyn était une étudiante ambitieuse qui rêvait de devenir médecin quand elle est tombée sous le charme de James, un jeune professeur d’université d’origine chinoise. Entre eux, c’est la passion, qui entraîne bientôt une grossesse. Pour Marilyn, finies les études : elle épouse James et devient femme au foyer. Dans les années 50, être un couple mixte n’a rien d’évident ou de facile aux États-Unis : on s’expose à des jugements permanents, à minima. Toute sa vie, James a essayé de se fondre dans la masse, en vain : on le renvoie toujours au passé d’immigrants de ses parents. Dès qu’il ouvre la bouche, ses interlocuteurs s’étonnent de le voir parler si bien anglais, ignorant qu’il est né aux États-Unis, et sont toujours surpris d’apprendre qu’il enseigne en faculté. Sa vie est émaillée de petites humiliations quotidiennes, ce que Marilyn semble ignorer, quand bien même sa propre mère lui a tourné le dos suite à son mariage. Quand, en 1977, leur fille Lydia disparaît, l’opinion publique la dépeint comme une jeune fille solitaire : les journaux précisent qu’il est toujours difficile pour une enfant « mixte » de s’intégrer. Finalement, aux yeux de la ville, cela se résume à cela : le fruit d’un mariage mal assorti ne pouvait que mal finir. Ainsi, Celeste Ng dresse un portrait terrible du racisme ordinaire qui peut miner un individu, un couple, une famille : depuis son mariage, James rumine les paroles blessantes qu’a eu sa belle-mère à son égard, les regards méprisants quand on les voit ensemble… Quand Lydia est retrouvée morte, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, et le mariage des Lee manque de voler en éclats. Celeste Ng a travaillé avec beaucoup de justesse sur la psychologie de ce couple que l’on vient à connaître si bien…
Mais au fond, qui était vraiment Lydia ? Nous la découvrons à travers le regard de ses parents, mais également de son grand frère et de sa petite fille : même à travers ce prisme multiple, il est difficile de la cerner. On la devine ébranlée par le départ prochain de son frère à l’université, mise sous pression par une mère qui se décharge sur elle de ses propres frustrations et ambitions, et par un père qui rêve, désespérément, de la voir s’intégrer. Chacun de ses deux parents veulent la voir comme une incarnation de l’American Dream, qui arrivera à transcender son sexe et ses origines pour briller aux yeux du monde : Marilyn et James sont sincèrement convaincus que l’avènement des années 70 permet à leur fille de tout faire, d’être qui elle veut. Réussir devient une obligation, quelque chose qu’elle doit à ses parents. Quelle pression sur les épaules d’une toute jeune femme ! À travers les souvenirs des uns et des autres se dessinent un véritable malaise adolescent. C’est brillant.
Plus qu’un thriller, Tout ce qu’on ne s’est jamais dit est un roman psychologique de haute volée, explorant sans concession le fonctionnement d’une famille frappée par un drame. Chapeau bas, Celeste Ng !
Tout ce qu’on ne s’est jamais dit, Celeste Ng. Sonatine, 2016. Traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau.
Un très bon roman que je viens de terminer ! Et, j’allais le dire, plus un roman psychologique qu’un thriller 🙂
J’ai vraiment hâte qu’il sorte en poche !