ROMAN HISTORIQUE — Sonia Velton est avocate et écrivaine ; elle signe avec Le Bruit de la soie son premier roman.
Londres, 1768. Esther Thorel, l’épouse d’un maître soyeux huguenot, sauve Sara Kemp des griffes d’une dangereuse mère maquerelle. Elle pense accomplir la volonté de Dieu en prenant Sara à son service. Mais la jeune femme, loin de lui être reconnaissante, se lasse rapidement de sa nouvelle condition de domestique. Bien vite, elle se met à fouiner dans la vie de son énigmatique maîtresse.
Or, celle-ci cache bien un secret. Elle rêve de dessiner des motifs pour les soies façonnées que vend Elias, son mari, lequel balaie ses projets d’un geste moqueur et méprisant. Qu’à cela ne tienne ! Puisque son mari ne souhaite pas l’aider, Esther se tourne vers un compagnon tisserand, Bisby Lambert, qui utilise le métier à tisser ancestral des Thorel sur son temps libre, afin de tisser la soie qu’il présentera pour être intronisé maître tisseur. Entre eux deux se noue bien vite une relation que désapprouverait la très dévote communauté huguenote… Et pendant ce temps-là, la grogne gagne le milieu des ouvriers tisserands sous-payés de Spitalfields.
Dès les premières pages, on plonge dans un Londres plus vrai que nature. L’alternance des chapitres consacrés à Sara et ceux consacrés à Esther donnent un parfait aperçu des extrêmes que connaît la vie. Entre la vie misérable des prostituées mises de force au travail (comme c’est le cas de Sara) et l’existence oisive des maîtresses de maison fortunées, il y a un pas de géant. Rapidement, on découvre également l’univers des maîtres soyeux et des ouvriers tisserands. La communauté huguenote, issue de l’immigration française, a la main-mise sur le commerce des soies en Grande-Bretagne. Les soieries londoniennes se retrouvent toutefois en concurrence avec les soies importées de Lyon et pire, les calicots de coton et les tissus imprimés qui commencent à affluer d’Inde – et se vendent pour la plupart sous le manteau.
Tout occupés que l’on est avec les trajectoires des deux femmes, on ne voit pas tout de suite monter la grogne des ouvriers – qui ne tardent pas à se regrouper en “associations”, ancêtres des syndicats. En effet, l’essentiel de l’intrigue se déroule à l’intérieur de la maison du maître soyeux et il n’y a guère que les escapades de Sara à l’extérieur qui nous donnent un aperçu complet de la situation. Le suspense monte donc peu à peu, laissant tout le temps au lecteur de s’interroger sur le cours que prendra l’intrigue, puis d’espérer qu’elle sera clémente avec tous les personnages. Las, l’époque est dure, et cette ambiance sombre est parfaitement transcrite.
De fait, Sonia Velton signe un roman historique parfaitement documenté – en témoignent les quelques notes de bas de page qui viennent éclairer telle ou telle référence, et le fil rouge de l’intrigue qui colle parfaitement à la réalité historique. Mais il faut aussi parler du personnage d’Esther, librement inspiré d’Anna Maria Garthwaite, la plus importante dessinatrice de soies de Spitalfields au milieu du XVIIIe – dont les oeuvres peuvent encore être vues au Victoria and Albert Museum. Le roman, enfin, évoque avec justesse la condition – peu glorieuse – des femmes à l’époque, guère mieux considérées que des meubles.
Avec Le Bruit de la soie, Sonia Velton nous embarque dans le milieu très fermé des maîtres soyeux au XVIIIe. De feutrée, l’ambiance du roman tourne au tragique, faisant monter peu à peu le suspense, ce qui le rend très prenant. On ne regrette guère que la faiblesse de certains dialogues, un peu décevants en regard de l’excellente narration.
Pour un premier roman, c’est donc un essai réussi ! On guettera sans nul doute les prochaines parutions de l’autrice !
Le Bruit de la soie, Sonia Velton. Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Carole Hanna. Préludes, janvier 2020.
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