Blackwater I : La Crue

Blackwater, la crue

FEUILLETON —  Avant toute chose, saluons l’évidence : l’édition de Blackwater proposée par Monsieur Toussaint Louverture est absolument sublime : ses ors attirent et flattent l’oeil et seront du plus bel effet dans votre bibliothèque.

L’histoire commence par une catastrophe : Perdido, petite ville perdue au fin fond du sud des États-Unis, est submergée par une crue d’anthologie. Tout disparaît sous les flots cruels et une boue noire et puante souille le peu qui peut être sauvé. Alors qu’Oscar Caskey, héritier d’une des trois riches familles qui tiennent les rênes de Perdido, évalue les dégâts en barque, il remarque quelque chose d’improbable : à la fenêtre de l’hôtel de la ville se tient une femme. Elle a passé quatre jours dans cette chambre, sans manger, sans boire, à la merci de l’eau. Comment a-t-elle survécu ?

Cette femme mystérieuse s’appelle Elinor Dammert : elle dit venir à Perdido chercher un poste d’institutrice. Elle n’a pour ainsi dire pas de passé. Mais son futur, le lecteur le devine de suite, est d’intégrer la famille Caskey, au grand dam de Mary-Love la matriarche puissante et manipulatrice.

Portée par une vague fantastique et inquiétante, l’histoire nous transporte dans le quotidien d’une petite ville dévastée qui tente de se reconstruire. Nous sommes de surcroît en 1919, le spectre de la première guerre mondiale hante encore les esprits, pourtant, à Perdido, l’inquiétude vient plutôt des eaux capricieuses qui entourent la bourgade. Elinor y semble inextricablement liée, pourtant la communauté l’accueille. Pas sans réserves, ceci dit : Mary-Love voit d’un mauvais oeil la présence de cette femme, dont elle pressent bien la relation avec son propre fils. Mais rien ne saura l’empêcher : celle qui a l’habitude de régenter toute la ville doit bien se rendre à l’évidence : elle a trouvé plus forte qu’elle.

Cette rivalité féminine ne fait que croître, alors qu’Elinor gagne peu à peu le coeur des hommes de la famille, et de la petite Grace, six ans, qui voit en elle une mère de substitution, la sienne étant hautement défaillante. Pendant ce temps, alors que se dessine peu à peu l’ombre d’une romance hautement raisonnable entre Elinor et Oscar, la ville renaît de ses cendres, sans pouvoir se débarrasser de l’odeur saumâtre de la crue, empêchant les habitants d’oublier la menace de dévastation qui plane en permanence au dessus d’eux.

Le roman aurait déjà été tout à fait convaincant dépourvu de l’indéniable aura fantastique qui l’entoure, mais cette menace sous-jacente ajoute un surcroît d’intérêt pour l’intrigue. Certaines scènes font froid dans le dos : écrites avec précision, une grande maîtrise et un intérêt assumé pour le macabre, elles contribuent à la construction d’une atmosphère aussi malsaine que les eaux de la crue. Quelque chose de surnaturel essaie de s’immiscer au sein de Perdido… et au sein de la famille Caskey, et le lecteur assiste, impuissant, à cette emprise progressive.

Au final, ce roman est aussi bon que beau, ce qui n’est pas peu dire. Une soirée de lecture suffira à se faire tourner toutes les pages jusqu’à la dernière et là, misère ! Il faudra attendre encore quelques semaines pour pouvoir lire la suite…

Blackwater I : la crue, Michael McDowell. Monsieur Toussaint Louverture, avril 2022.

A propos Emily Costecalde 1157 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

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