L’île indonésienne de Belitung, à l’est de la géante Sumatra, est absente des guides touristiques. Elle renferme surtout des gisements d’étain exploités par la PN, une entreprise gouvernementale toute puissante, et quelques pauvres paysans ou pêcheurs qui luttent pour survivre. Leur seul espoir est d’envoyer l’un de leurs nombreux enfants à l’école en espérant qu’il puisse accéder à un emploi plus qualifié et gagne suffisamment bien sa vie pour pouvoir rapporter chaque soir de quoi nourrir sa famille.
Les pauvres n’ont pas accès à la splendide école de la PN qui distribue à ses élèves toutes les fournitures scolaires qu’ils désirent et les emmène en excursion à Jakarta à bord d’autobus magnifiques et climatisés.
La Muhammadiyah, une association islamique, propose elle aussi sa propre école à ceux qui n’ont que peu de ressources. Mais c’est une espèce de cabane de planches que le vent, les inspecteurs de l’éducation et les spéculateurs menacent chaque jour de mettre à terre. Les cours des deux courageux professeurs, la jeune Bu Mus qui sort de l’école d’institutrices et le sage Pak Harfan qui enseigne le Coran, auraient pu ne jamais débuter. Dès la rentrée scolaire et malgré la témérité du petit Lintang qui n’hésite pas à faire vingt kilomètres en vélo, il n’y a que neuf élèves inscrits, alors que le nombre minimum est fixé à dix. Au dernier moment, l’arrivée d’Harun, un adolescent trisomique obsédé par le chiffre 3 qu’il voit partout, va sauver pour un temps le destin de la petite école de village et permettre à ces enfants, dont Ikal le narrateur, de découvrir les merveilles du savoir, avec chacun leur matière de prédilection.
Garçons et filles, Maltais, Chinois, musulmans ou non, ils seront les Guerriers de l’arc-en-ciel, ou Laskar Pelangi en indonésien, avec chacun leur place dans l’arbre, un fillicium, qui pousse juste devant l’école. Car ce que les élèves de l’école de la Muhammadiyah n’ont pas en argent, ils le compensent en camaraderie, en créativité et en débrouillardise. Et il leur en faut pour empêcher Mister Samadikun, l’inspecteur qui regarde d’un sale œil la vitrine aux trophées complètement vide, de fermer l’école. Par exemple en remplaçant le portrait du président de l’Indonésie, pourtant obligatoire mais absent, par un poster de Bruce Lee, en espérant que sa myopie lui dissimule le subterfuge.
Les Guerriers de l’arc-en-ciel d’Andrea Hirata sont pour les Indonésiens ce que Le Petit Nicolas de René Goscinny est pour nous ; les souvenirs émus des années d’écoles qu’on lit avec tendresse et nostalgie, des copains de classe, du monde des adultes dont on ne comprend pas les bizarreries, et les bêtises que l’on fait avec courage ou pour plaire à une jeune fille. C’est l’un des plus gros succès de la littérature indonésienne dont nous ignorons presque tout en France mais qui donnera peut-être envie aux éditeurs et aux lecteurs de s’intéresser enfin à autre chose qu’à la littérature américaine.
Les guerriers de l’arc-en-ciel, Andrea Hirata, traduit par Marie-Pierre Bay, Mercure de France, 2014.
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