En cette rentrée littéraire, Aravind Adiga, l’une des nouvelles voix de la littérature indienne, publie en France son troisième roman, une fresque monumentale qui nous tient en haleine sur près de six cents pages. Aussi bon que Le Tigre blanc qui l’avait fait connaître, Le Dernier Homme de la tour confirme le talent d’un jeune auteur, dont on espère qu’il a encore de nombreuses histoires en réserve.
Aravind Adiga vit à Bombay et c’est dans cette ville foisonnante qu’il situe l’action de son nouveau roman. Dans une banlieue encerclée par les bidonvilles, la résidence Vishram est connue par tous comme un immeuble de qualité, où résident des gens bien comme il faut. Lorsqu’un promoteur décide de racheter la résidence et d’exproprier tous les propriétaires en leur offrant une jolie somme, les avis divergent. Certains ne croient pas leur bonne fortune et bâtissent des plans d’avenirs. D’autres refusent de partir. C’est le cas de Masterji, un vieux professeur respecté, qui a tous ses souvenirs dans son appartement. Le vieil homme est catégorique, il ne partira pas. Sans son accord, le projet ne peut se faire. L’hostilité naît, le ton monte. Masterji cèdera-t-il ? Jusqu’où va la cupidité humaine ?
Roman dense et magistral, Le Dernier Homme de la tour montre qu’à chaque roman, Aravind Adiga prouve encore davantage son talent de conteur. Sous sa plume se dessine la réalité de la vie à Bombay, ses embouteillages, ses bidonvilles, sa corruption, une Bombay qui se peuple dans son récit de personnages hauts en couleur, mais qui se ressemblent tous dans leur amour de l’argent. L’immeuble Vishram est peuplé d’un échantillon assez complet de la classe moyenne de Bombay : nous découvrons le quotidien de couples, de familles, de célibataires dans une société en mutation, où demeure encore le spectre des castes, et où la religion continue à rythmer les jours. Aravind Adiga ne fait aucune concession dans sa description de cette ville millénaire et grouillante, une ville où tout peut arriver sans susciter de réaction, où l’argent fait loi.
Aravind Adiga avance ses pions lentement mais méticuleusement. Il met en place soigneusement son intrigue, tisse les liens de son histoire patiemment, nous présente progressivement tous les protagonistes du récit : Masterji, bien sûr, le professeur veuf au centre de l’histoire, mais également Madame Puri, qui se voue corps et âme à son fils attardé, Ibrahim, le père de famille prêt à tout pour séduire ses voisins, le couple Pinto, ravagé par l’âge ou encore Madame Rego, dite « Le Cuirassé » ou encore « La Communiste ». Tous sont différents, mais, hormis Masterji, ils sont tous unis dans leur quête d’une vie meilleure, loin de la résidence Vishram qui, bien que de bonne réputation, s’est dégradée au fil des moussons. Certains pourraient arguer, que du fait de cette abondance de personnages, le rythme est très lent, mais cette mise en place est totalement nécessaire. On est peu à peu pris au piège du récit, que l’on ne peut plus alors plus lâcher.
Au fur et à mesure que l’on progresse, l’on est de plus en plus plongé dans les tréfonds de l’âme humaine, que ce soit du côté du promoteur, que l’on découvre dans son intimité, ou des habitants de Vishram. On sort de cette lecture vidé, impuissant et un peu triste, mais certain d’avoir un un très grand roman. Je remercie vivement les éditions Buchet-Chastel, et Babelio pour cette lecture des plus agréables.
Le Dernier Homme de la tour, Aravind Adiga. Buchet-Chastel, 2012.
J’ai beaucoup aimé « Le tigre blanc » alors depuis je n’ose plus rien lire de l’auteur mais si tu dis que ce roman-ci est aussi bon que « Le tigre blanc », je vais peut-être tenter le coup, surtout que ma biblio l’a en VF et en VO donc j’ai le choix !
Oui, celui-ci est vraiment bon. Les Ombres de Kittur m’avait un peu trop déconcertée, même si cela avait été également un excellent moment de lecture. Aravind Adiga fait vraiment partie de mes auteurs de prédilection !