On l’attendait tous au tournant. Il aurait été faux de prétendre que J. K. Rowling partait avec un avantage, le jour où elle a publié Une place à prendre. Nous, génération bercée par les aventures d’Harry Potter, la série qui l’a rendue célèbre, étions un peu dépités devant ce nouveau roman résolument adulte, à la couverture dénigrée par beaucoup, au résumé peu tentant. Et pourtant, J. K. Rowling réussit sa reconversion. D’auteur pour enfants et adolescents, elle parvient à séduire également les adultes que nous sommes devenus. Quinze ans après la publication du premier volume des aventures du petit sorcier à lunettes, la transition est faite.
Bienvenue, non plus à Poudlard, mais à Pagford, une petite bourgade britannique où il fait bon vivre. Le village est calme en apparence mais il suffit d’une mort, celle de Barry Fairbrother, pour que les masques tombent, les frustrations se dévoilent, les secrets s’étalent en place publique. Barry était conseiller municipal et tout le monde l’adorait, sauf M. Mollison, le chef du conseil. Alors que s’ouvre une véritable campagne électorale pour pourvoir cette place désormais dangereusement vacante, les bons habitants de Pagford vont devoir ouvrir les yeux sur les travers de leurs concitoyens…
La ville de Pagford vivait d’un équilibre précaire : la politesse et l’intérêt empêchait bien souvent les rancœurs d’éclater. Les secrets étaient bien gardés, et chacun vivait sa vie comme il l’entendait. Et puis, Barry Fairbrother,quadragénaire bienveillant, conseiller municipal, entraîneur de l’équipe d’aviron locale, ardent défenseur de la cité toute proche, en somme voisin modèle, meurt brutalement, dès les premières pages, d’une rupture d’anévrisme. Les ambitions des uns se réveillent, car cette vacance au conseil municipal permettrait peut-être d’instaurer un nouveau rapport de force. C’est ainsi que le perçoit instantanément le couple Mollison : lui est le directeur obèse et doucereux de l’épicerie locale, et se prend pour le maire. Elle est une commère sans scrupule. Ils rêvent de placer leurs fils Miles, un avocat suffisant, au sein du conseil. Une initiative observée d’un œil inquiet par les Jawanda, une famille aisée d’origine indienne. L’épouse, Parminder, était l’amie de Barry et partageait ses vues sur la cité des Champs, un quartier sensible que les Mollison veulent détacher de la commune. Les Wall aussi se positionnent contre l’élection de Miles : travaillant tous deux au collège local, ils ont un fils, Stuart.
Les affaires des adultes, qui se déchirent au sujet de cette place vacante, ne touchent pas vraiment les adolescents, qui ont eux-mêmes leurs ambitions et peurs. Stuart, le fils Wall, rêve d’authenticité, et d’être initié au sexe par la délurée Krystal Weedon. Krystal, elle, vit dans la cité des Champs, et craint qu’on n’enlève son petit frère Robbie à sa droguée de mère. Son assistante sociale a une fille, Gaia, qui ne souhaite qu’une chose : pouvoir retourner vivre à Londres. Gaia alimente les fantasmes d’Andrew, meilleur ami de Stuart, et fils de Ruth, une infirmière discrète, et de Simon, un homme violent et colérique. Enfin, Sukhvinder, la fille des Jawanda, complexée par ses mauvaises notes et par sa pilosité qui lui vaut les moqueries de Stuart, aimerait juste que sa famille cesse de la comparer à sa soeur, et que Stuart cesse de la harceler. C’est de ce nid de frustration, d’hormones et de colère adolescente, alimenté par les ambitions parentales que va naître peu à peu le bouleversement qui va changer à jamais la face de Pagford.
Car bientôt, un corbeau va poster sur le site web de la commune des révélations vraiment gênantes sur les habitants. La suspicion s’installe. Le doute aussi. Tout est prêt pour le chaos final.
J. K. Rowling surprend, dans ce registre où on ne l’attendait pas. Elle ne néglige, par soucis de vraisemblance, aucun juron, aucune vulgarité. Nous sommes plongés jusqu’au cou dans la bassesse humaine la plus réaliste, la plus vraisemblable. Il n’y a pas de saint, ni de démon à Pagford, juste une bande d’humains animée par leurs instincts les plus vils : drogue, sexe, alcool, jalousie, cupidité. Cette comédie de mœurs féroce et sans concession vous saisit dès les premières pages : elle vous écœure autant qu’elle vous fascine. J. K. Rowling montre une nouvelle fois qu’elle est une conteuse hors-pair, capable de tenir son lecteur captif tout au long de ce pavé. On en redemande. Si on était encore à l’école des sorciers, J. K. Rowling obtiendrait vraisemblablement la très honorable note de 16/20 pour ce très bon roman. Ce livre a été lu et chroniqué dans le cadre des matches de la rentrée littéraire Priceminister.
Une place à prendre, J. K. Rowling. Grasset, 2012.
Quelle magnifique chronique Well ! Et je te félicite pour avoir si bien résumer les personnages. Chapeau bas :).
Oh, merci Iluze ! ça me fait tellement plaisir !
Après avoir surmonté la difficulté des noms – j’ai beaucoup apprécié les situations très complexes et ce fut pour moi une très bonne lecture que je recommande sans restrictions.
Après un début plutôt laborieux, je commence à bien apprécier ma lecture. mais je n’en suis qu’à la moitié!
Un roman que je suis en train de lire et je pense que je partagerai ton avis à la fin de ma lecture! J’ai hâte 🙂
Bonnes lectures à venir !
Très bon commentaire qui donne envie de lire le livre, même si on hésitait beaucoup à l’acheter. Mais il semble qu’il y ait beaucoup de personnages et donc quelques difficultés à se souvenir de tous.
J’adore également ta chronique, très bien écrite ! Je suis en train de le lire et j’ai un avis similaire au tien même si le début a été plus difficile. Il a fallu faire le deuil d’Harry… 🙁
Merci !
Je n’ai lu aucun Harry Potter (pas tentée du tout) mais, forcément, peut-on manquer de lire un roman de JK Rowling ?! Merci pour cet aperçu. Je pense que je vais attendre la version poche ^_^
Excellente chronique qui, je trouve, traduit bien le ton de l’ouvrage ! Ah, cette chère J. K. en a du talent… Et toi aussi ! : – )
Tu me flattes, tu me flattes !
Je fais aussi partie de la génération Harry Potter et je n’avais pas été transportée par les aventures du petit sorcier que j’avais trouvées assez prévisibles. J’avais trouvé que les tomes étaient trop longs pour ce qu’ils m’apportaient.
Devant ce roman résolument plus adulte, j’attendais quelque chose de plus construit, de plus travaillé, de plus recherché. Je ne suis pas déçue du voyage et je suis assez dépitée. Je trouve que l’auteur a voulu nous plonger dans quelque chose de trop complexe. Elle ne nous a pas ménagé en installant cette complexité dès le début. Peut-être que cela s’amenuise au cours de la lecture ? Moi, je n’ai pas eu le courage d’achever ce titre, trop perdue parmi les nombreux personnages, déçue par ces longueurs trop présentes, par cette impression que l’auteur a voulu se défaire totalement de son monde, de ses lecteurs, de tout…
Je suis en train de le lire !!! J’avance doucement !!! Je le trouve long et un peu mou pour le moment !!!
Rebonjour Emily, lu et approuvé car Mme Rowling sait captiver ses lecteurs. En revanche quelle noirceur! Les personnages sont pratiquement tous antipathiques et il faut avouer que ce n’est pas de la grande littérature. Bonne journée.