Le titre du dernier roman de Jordi Soler est énigmatique pour qui n’est pas spécialiste d’Antonin Artaud. Mais après avoir lu Dis-leur qu’ils ne sont que cadavres, le poète français sera pour vous comme un vieil ami, comme il l’est devenu pour la narrateur, attaché culturel à l’ambassade du Mexique en Irlande.
Démotivé par un emploi sans budget, soumis aux caprices d’un ambassadeur philistin et épié en permanence par une secrétaire revêche, notre héros s’ennuie. L’exil en Irlande lui a permis de fuir un chagrin amoureux. Un jour, un étrange couple vient perturber sa vie bien rangée : Monsieur Lapin et son épouse Delfina sont en quête d’objets ayant appartenu au poète Antonin Artaud, ils ont d’ailleurs en tête la canne de Saint-Patrick, qui aurait été rendue à l’Irlande par Artaud dans les années 30. Lapin et son épouse souhaiterait que notre héros les aide dans leur quête, utilisant ainsi de manière frauduleuse son statut de diplomate et les moyens de l’ambassade. Le narrateur hésite brièvement, puis se lance dans cette odyssée au nom de la poésie, avec le concours du poète irlandais Lear McMannus, une personnalité pour le moins haute en couleur.
La quête est certes noble, et notre troupe porte la poésie aux nues, mais les gags s’enchaînent et les situations sont pour le moins absurdes. Coincé dans une fourgonnette de l’ambassade entre Lapin et McMannus ronflant à tout va, notre narrateur doit se prêter à un étrange sketch avec son chauffeur, qui se demande comment faire son coming-out. Ce road-trip sur les routes d’Irlande n’a rien d’ennuyeux, bien au contraire. Pourtant, le roman n’est pas un récit comique à proprement parler. L’humour nait souvent aux dépends des personnages, tous plus extravagants les uns que les autres, et c’est l’improbable des situations qui fait sourire le lecteur. Jordi Soler a su inventer de véritables figures romanesques, avec des descriptions soignées qui font que les personnages semblent prendre vie sous nos yeux.
Dis-leur qu’ils ne sont que cadavres est de ces livres dans lequel on entre et l’on sort avec difficulté, car il faut apprivoiser l’atmosphère : l’exercice étant difficile, on a alors du mal à quitter l’univers du roman, surtout quand la fin est aussi réussie. C’est un de ces livres qu’on apprécie davantage, une fois qu’on l’a reposé et qu’on a pris le temps d’y repenser.
Dis-leur qu’ils ne sont que cadavres, Jordi Soler. Belfond, septembre 2013.
Par Emily Vaquié
J’aime tellement les road trip que je note 🙂