Imaginez, dans une ville italienne, une immense décharge où s’entassent tous nos déchets, nos rebuts, ces choses que l’on met à la poubelle et que l’on oublie. Qui se préoccupe de savoir où vont nos ordures ? de savoir à quoi ressemble cette décharge où échouent tout ce dont l’on ne veut plus ? De façon étonnante, c’est ce décor méconnu qu’a choisi Elisabetta Bucciarelli pour son roman Corps à l’écart : elle imagine une véritable communauté, implantée dans une décharge italienne. Des individus en rupture, en marge du système, y vivent et errent entre les tas d’ordures, éventrant les sacs pour trouver, peut-être, quelque chose de réutilisable ou de vendable. Parmi eux, Saddam, le patriarche, qui traîne sa patte folle sur son territoire, Lira et Iac, adolescents perdus entre deux monde, Argos le géant immigré…
Un jour, un incendie se déclenche, révélant l’existence de déchets toxiques. La vie à la décharge est menacée. Un pompier, Lorenzo, s’intéresse de près à Iac, ce gamin qui semble vivre à la décharge, et des trafiquants, à l’origine de l’incendie, n’apprécient pas trop de savoir qu’ils ont été vus. Elisabetta Bucciarelli nous immerge dans un lieu à l’écart du monde, où s’est recrée un microcosme : elle nous plonge littéralement dans le monde de la décharge, grâce à une écriture tout en économie, et en force visuelle. La décharge gagne en réalité dans notre esprit, au fur et à mesure que se tournent les pages. Devenu lieu d’échange et de rencontre, presque convivial, c’est le foyer de ce groupe soudé, bien que construit sur des bases bien instables.
Elisabetta Bucciarelli utilise son récit comme un moyen de dénoncer le trafic des déchets, et de montrer comment la malveillance des uns et le je-m’en-foutisme des autres font des décharges de véritables bombes à retardement, aux émanations toxiques. Dans Corps à l’écart, l’on croise des hommes qui larguent sciemment des déchets dans la décharge, et un chirurgien esthétique peu scrupuleux qui se débarrasse de déchets humains sans précaution, dans une poubelle tout ce qu’il y a de plus normale. Cela pour résultat « La Chose », ce gouffre effrayant et vorace que redoutent les adolescents du roman, sorte de sables mouvants avalant tout ce qu’on y jette.
Roman porté par une écriture efficace, et ultra visuelle, Corps à l’écart fait réfléchir le lecteur et le laisse avec une impression de malaise presque salvatrice, lui donnant envie d’en savoir davantage sur ces objets du quotidien, en l’occurrence la poubelle, auxquels on ne prête pas attention mais dont les enjeux nous dépassent parfois. Un roman à découvrir en librairie, depuis le 9 janvier.
Corps à l’écart, Elisabetta Bucciarelli. Asphalte, 9 janvier 2014.
Par Emily Vaquié
En lisant ta critique, je pense aux premières pages de Gomorra de Roberto Saviano et ça me fait très envie! Merci et bonne continuation!