Zamia, 26 ans, est l’épouse d’un diplomate cubain dilettante, plus occupé à écrire le master piece de la littérature nationale qu’à accomplir ses devoirs au sein de la mission de l’UNESCO cubaine à Paris. Jaloux, imprévisible, violent, il exerce tyrannie et violence constantes sur son épouse, cantonnée aux seules tâches domestiques, et interdite d’exercer son art littéraire, le rôle d’écrivain étant la chasse gardée de l’Homme.
Partie chercher l’inspiration au bord de la mer, Zamia fait une rencontre des plus étranges alors qu’elle médite sur la plage: une femme, se présentant comme une chasseuse d’astres, lui apparaît, et la désigne comme étant une charmeuse d’océans. Cette femme, c’est Remedios Varo, peintre surréaliste hispano-mexicaine qui a marqué le mouvement, mais a été oubliée par les contemporains.
S’entretissent alors les histoires de ces deux femmes dont l’art a marqué la vie, l’une écrivant en cachette un roman sur la vie de l’autre, le tout narrant en creux l’histoire de Zoé Valdès. À l’extrême limite entre autobiographie, biographie et roman, La Chasseuse d’astres s’impose comme un ouvrage transgenre, aux tonalités poétiques.
Née en pays catalan, Remedios Varo a vécu en Espagne et en France puis, poussée par les guerres (civile et mondiale) et les persécutions, s’est embarquée pour l’Amérique latine où elle s’est installée au Mexique après un bref passage à Cuba. Artiste, peintre, femme libre ayant aimé plusieurs hommes, elle choquait certains de ses contemporains, tandis qu’elle en ravissait d’autres. Injustement oubliée au profit de sa contemporaine Frida Kahlo, Remedios Varo a pourtant marqué l’histoire de la peinture surréaliste par des œuvres oniriques et poétiques.
En partant à la rencontre de cette artiste du passé, Zamia – et, en creux, Zoé Valdès – se libère du sien, et s’affranchit d’un douloureux fardeau. Parallèlement, on suit donc les progrès artistiques d’une femme libre dans une époque troublée, et la vie non moins libre d’une autre femme dans une époque qui dissimule mieux ses troubles mais n’en demeure pas moins tumultueuse. Sous la plume de Zoé Valdès, l’ambiance du Paris des années 40 ressurgit avec force : explorations littéraires et artistiques, réunions d’artistes, évolution des idées… tout y est. Le lecteur plonge avec délectation dans cette époque retranscrite avec justesse. Il découvre également la censure, l’espionnage des diplomates, le contrôle absolu exercé par les forces castristes, dans les années 70, jusque dans l’intimité des foyers. Mises en parallèle, les deux époques ne manquent malheureusement pas de similitudes, et c’est avec autant de passion que d’angoisse que l’on suit les pérégrinations – parfois chaotiques – de Zamia et Remedios.
D’un style vivant qui rend le récit très prenant, Zoé Valdès retranscrit avec autant de justesse que d’exigence l’incroyable parcours d’une des premières surréalistes. Les chapitres sont empreints du même onirisme fantastique qui se dégage des toiles de l’artiste : on s’y plonge, on baigne dans une atmosphère fantasque et merveilleuse, au travers des retranscriptions de l’auteur, ou de la correspondance de Remedios Varo avec ses contemporains. C’est un univers hors norme, quasiment hermétique au néophyte. Les descriptions sont hallucinées, les émotions violentes, les choix parfois surprenants. C’est littéralement surréaliste !
Preuve, s’il en fallait, que l’auteur a parfaitement intégré le sujet.
Avec La Chasseuse d’astres, l’auteur revient à des thèmes qui lui sont chers : derrière la biographie stricte se cache en effet l’idée que l’art peut investir les moindres recoins d’une vie, thèse largement démontrée tout au long des chapitres, et que l’élan créatif s’assimile bien souvent à une activité salvatrice. Mais le roman traite également des problématiques de l’exil, subi ou volontaire, et auquel les deux femmes se retrouvent confrontées, et dont elles s’affranchiront par le biais de l’art.
Mêlant sujets de société et biographie très documentée, on lit La Chasseuse d’astres avec la sensation de plonger dans un univers fantasmagorique, qui vaut tous les voyages. Récit historique, récit d’exil, récit passionné, La Chasseuse d’astres devrait ravir tant les amateurs de peinture que les néophytes curieux !
La Chasseuse d’astres, Zoé Valdés. JC Lattès, février 2014.
Portrait : María de los Remedios Alicia Rodriga Varo y Uranga, dite Remedios Varo (16/12/1908, Anglès, Espagne – 08/10/1963, Mexico).
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