Pablo de Santis, né dans les années 60 à Buenos Aires est tout à la fois auteur, journaliste et scénariste de bandes-dessinées. Ses premiers romans, destinés aux adolescents, lui ont valu un vif succès. Aujourd’hui, il dirige une collection destinée à la jeunesse dans une maison d’édition argentine. Il était présent, le week-end du 21 au 24 mars au Salon du Livre de Paris, qui mettait les lettres argentines à l’honneur. Si vous l’avez raté, Café Powell vous propose de découvrir une partie de l’œuvre de Pablo de Santis avec La Soif primordiale, un texte flirtant avec une ambiance désuète et fantastique.
Dans la Buenos Aires des années 50, à l’ombre de la dictature, Santiago, un jeune provincial, réparateur de machines à écrire, se retrouve en charge de la rubrique ésotérique du journal où il travaille. Cet emploi cache en fait celui d’informateur pour le ministère de l’Occulte, l’organisme officiel chargé de la recherche sur les thèmes sombres et mystérieux que les profanes ignorent, mais qui existent bel et bien. Bien qu’il soit très sceptique face au surnaturel, Santiago assiste à une rencontre de spécialistes des superstitions, où il est témoin d’un meurtre. Il entre alors en contact avec les « antiquaires », des êtres extraordinaires qui vivent dans la pénombre, entourés d’objets précieux et anciens qu’ils collectionnent ou vendent, et qui sont la proie de la soif primordiale. Celle du sang. Celle à laquelle Santiago ne va pas tarder à succomber, pour le meilleur, ou pour le pire.
Dès le résumé, le ton est donné : La Soif primordiale est une histoire de vampires. À ceci près que jamais le mot n’est prononcé. Ici, il n’est question que d’antiquaires, des créatures aimant la poussière et le lustre des objets d’antan, chacun se spécialisant dans un type d’objet particulier. Santiago ne croit guère à toutes ces fadaises, jusqu’à ce qu’elles embrassent violemment et passionnément sa vie, jusqu’à devenir le centre de ses préoccupations.
Des ruelles sombres aux étagères poussiéreuses de la librairie qu’il fréquente, Santiago évolue dans un univers qui semble brumeux, ténébreux, et énigmatique. Au rythme lent des journées écrasées de soleil, pleine d’une tension électrique et dangereuse, le lecteur se laisser envoûter par l’ambiance nébuleuse, étouffante, et dangereusement tragique de la Buenos Aires des années 50. N’attendez pas pour autant un roman fantastico-historique : l’Histoire, ici, ne sert que de toile de fond générale. Si l’ombre de la dictature s’insinue dans les interstices du récit, lui donnant son ambiance si particulière, les événements ne sont évoqués que du bout des lèvres, en filigrane.
Pablo de Santis, ici, revisite haut la main un mythe littéraire qui s’essoufflait, tant les productions contemporaines l’ont lissé et dénaturé : point de vampire niais, vivant une torride idylle avec une humaine ici, mais des créatures baroques, sombres, exigeantes, cruelles et dangereuses. Plutôt que de dépoussiérer le mythe, Pablo de Santis lui rend ses lettres de noblesses, et on retrouve des vampires dignes de la tendance du XIXe siècle, plus proches que jamais du Dracula de Stoker !
Le tout via l’imaginaire argentin, avec quelques légères touches de ce qu’on imagine sans peine venir du réalisme magique borgésien. Tout est question d’ambiance : suffocante, voire oppressante, mais toujours captivante, elle fait que l’on a du mal à lâcher le roman. D’un style enlevé, précis, d’une élégance folle, l’auteur égrène les calamiteux événements de la vie de Santiago : le spectacle de sa tragique et inévitable déchéance captive un lecteur proprement subjugué par une plume délicate et distinguée, et une ambiance époustouflante, qui sied parfaitement au sujet. Pour résumer, voilà un récit fantastique de haut-vol, porté par une ambiance extraordinaire, redorant le mythe exsangue des vampires. Un pur régal.
La Soif primordiale, Pablo de Santis. Métailié, 2012.
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