Au début du XXe siècle, dans une lointaine province canadienne, un jeune garçon prend son destin en main.
Le jour où le jeune Joe apprend que son père est mort à la guerre contre les Boers, il se rend compte qu’il devient de fait, à peine sorti de l’enfance, le chef de famille. Aîné d’une famille de trois garçons et deux filles, né dans une famille très pauvre, le jeune garçon est astucieux et ne rechigne pas au travail. Il ira loin, et il le sait : c’est ce qui sera le moteur de toute sa vie, une envie profondément enfouie en lui d’en découdre, de réussir, de devenir quelqu’un.
A la mort de sa mère, le jeune garçon ne pense qu’à une chose : quitter son village miteux pour tenter sa chance à l’ouest, dans le domaine des chemins de fer. Plaçant ses deux sœurs dans un couvent selon leur souhait, envoyant un frangin dans un monastère à New York, et le second travailler en Californie, Joe O’Brien entreprend, encore adolescent, de réussir sa vie. Nous le retrouvons plus tard, dans les années 1910, pour une parenthèse dorée en Californie, où il rencontre Iseut, une héritière de la côte est qui vient de perdre sa mère. Le plan de Joe se met alors en place : il sera à la tête d’un clan puissant et riche. Mais tout ne se passera pas comme prévu et le chemin vers le succès, s’il existe bel et bien, sera semé d’embûches. Deux guerres et une crise économique plus tard, Joe pourra dresser le bilan de sa vie.
Portrait d’un homme, d’un couple, d’une famille, grand roman d’apprentissage comme l’Amérique les aime, Les O’Brien est un roman véritablement enthousiasmant, car entièrement maîtrisé de bout en bout par son auteur. Si le récit malmène parfois les personnages, et qu’une certaine nostalgie est difficile à éviter au fur et à mesure que les années s’écoulent inexorablement, le lecteur est ravi d’assister à la vie de la famille O’Brien vue de l’intérieur, par le biais de Joe, de son épouse ou de leurs enfants. Ne lassant jamais son lecteur grâce à des ellipses et à des changements de perspective, le roman parcourt plus d’un demi-siècle d’histoire américaine à travers certains événements des plus marquants, comme la prohibition, la guerre ou la crise de 1929. C’est une grande saga familiale au souffle épique, qui parvient à ne pas négliger pour autant l’aspect terriblement humain de la vie des personnages.
Nous faisant voyager de la Californie à New York, en passant par Montreal, Les O’Brien est un roman jubilatoire comme on en voit peu : Joe O’Brien, la figure majeure du récit, est un personnage complexe, en apparence fort, ambitieux et travailleur, en réalité profondément marqué par son passé misérable. Toute sa vie, il aura quelque chose à prouver. Il n’arrivera jamais à passer outre les failles profondes qu’ont laissé son enfance, incarnées par le personnage de Mike, son beau-père alcoolique et lubrique, qu’il battit comme plâtre quand il apprit qu’il tripotait ses jeunes sœurs. Le souvenir de ce violoniste obsessionnel, qui pouvait jouer des jours durant, sera diabolisé avec le temps, symbolisant toute la misère et la violence de l’enfance de Joe dans le Pontiac. Joe, presque volontairement, deviendra à son tour alcoolique, mettant alors en péril sa famille.
Les O’Brien est un roman fleuve d’une rare intensité. On le quitte un peu triste, comme lorsque l’on laisse des amis qu’on sait ne jamais revoir.
Les O’Brien, Peter Behrens. Philippe Rey, février 2014.
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