A l’heure de la 3D et d’une surenchère toujours plus conséquente d’effets spéciaux, le film The Artist, en noir et blanc, et muet fut la star des oscars 2012. Le spectateur moderne découvre, souvent pour la première fois, le charme des films d’antan. Bien souvent, si l’on demande au spectateur de 2014 de citer un acteur célèbre de l’ère du muet, le nom qui vient spontanément est celui de Charlie Chaplin, inoubliable dans son rôle de Charlot. Mais Chaplin est l’arbre qui cache la forêt, et de nombreux autres acteurs ont également fait l’âge d’or du muet.
Dans les années 20, le cinéma est devenu un divertissement de masse : il est bien loin le temps où les spectateurs paniquaient en voyant le film de Louis Lumière L’Entrée d’un train en gare de la Ciotat . Depuis quelques années, quelques stars – les toutes premières !- ont fait leur apparition. Les trois plus célèbres, en ce début de XXe siècle, sont probablement Douglas Fairbanks Sr, Charlie Chaplin et Mary Pickford, qui, en 1919, ont fondé leur propre société de production, United Artists. L’engouement pour le cinéma est énorme, et Hollywood connaît un essor impressionnant. On assiste à la naissance de la presse people : le public est fasciné par ces acteurs dont il connaît les visages par cœur. Le mariage de Fairbanks et de Pickford en 1920 fut probablement l’événement people de l’année. En voyage de noces, le couple provoque des émeutes, Mary Pickford manquera même d’être piétinée par une horde de fans tentant de toucher sa célèbre chevelure dorée.
Le procès de Fatty Arbuckle, en 1922, déchaîne les foules : lors d’une orgie à San Francisco, l’acteur, connu pour sa corpulence, est accusé d’avoir « écrasé » l’actrice. A l’heure où l’Amérique est particulièrement puritaine (la prohibition vient d’être instaurée), Hollywood est alors montré du doigt comme la nouvelle Sodome et Gomorrhe, et Fatty Arbuckle comme un satyre dégoûtant. Et quand Rudolph Valentino, devenu une véritable icône en une décennie, décède brutalement en 1926, environ 100 000 personnes se rassemblent pour ses obsèques, et l’on raconte que certains fans ont même brisé des fenêtres pour tenter d’assister à l’enterrement.
Les années folles sont une décennie faste pour le cinéma muet, comment l’avait été la décennie précédente. Les années 30, elles, sonneront le glas du cinéma muet, et de la carrière de bon nombre de stars du muet, n’ayant pas su s’adapter. On estime souvent à tort que le cinéma parlant mis ainsi fin à la carrière de la reine d’Hollywood, Mary Pickford, estimée aujourd’hui encore comme la femme la plus puissante qu’Hollywood ait connue, actrice de renommée mondiale, mais également productrice et femme d’affaire. Certes, Mary Pickford est devenue célèbre grâce à son incarnation, jusqu’à plus de trente-cinq ans, d’enfants, son visage remarquablement expressif et ses boucles blondes. Mais c’est avec un film parlant, Coquette, qu’elle devient l’une des toutes premières actrices oscarisées. Elle arrête le cinéma en 1933, à 41 ans, ne supportant plus une célébrité devenue très pesante.
Dans les années 20, le cinéma est devenu accessible à tous, aux plus riches comme aux moins nantis. En France, par exemple, il était même possible de voir des films chez soi grâce aux projecteurs Pathé Baby, commercialisé dès 1922. Dès l’année suivante, une caméra de prise de vue fut également lancée, permettant au cinéma de se démocratiser davantage. Plus étonnant encore, on trouve encore de la pellicule vierge compatible avec ces caméras, permettant aux détenteurs de caméras Pathé Baby de s’en servir pour tourner leurs propres films.
Aujourd’hui, on estime que 70% des films muets tournés entre 1912 et 1930 ont été perdus. Les bobines ont souffert à la fois du temps, des destructions par manque de place et d’intérêt pour le muet et des incendies. Il faudra bien souvent attendre les années 80 pour que les grandes sociétés de production commencent à s’inquiéter de leur patrimoine : ainsi, la Paramount ne commencera à archiver et préserver ses films qu’après en avoir déjà perdu les 2/3. A ce jour, de grands noms du cinéma ont pris position pour la préservation de ce patrimoine inestimable, dont Martin Scorcese. Et l’on continue d’exhumer chaque années des bobines de films perdus depuis des années. N’est-il pas émouvant de pouvoir regarder des images vieilles de bientôt un siècle, de voir des visages morts depuis des décennies s’animer, jeunes pour toujours ?
Pour en savoir davantage :
Sur l’affaire Fatty Arbuckle :
Le Jardin du diable, Ace Atkins, aux éditions du Masque. Ce roman nous plonge dans l’affaire Arbuckle, à travers les yeux de celui qui deviendra le célèbre Dashiell Hammett.
Sur l’essor d’Hollywood :
Hollywood, Gore Vidal, aux éditions Galaade. N’hésitez pas à lire notre critique.
Sur les acteurs de légende :
501 acteurs, sous la direction de Steven Jay Schneider, aux éditions Omnibus. C’est un beau livre illustré et pratique, avec pour chaque acteur une biographie et une filmographie indispensable. De George Arliss à Natalie Portman.
Par Emily Vaquié
Bonjour. Et oui Hollywood Babylone (pour citer l’épatant Kenneth Anger). Mais pas seulement.Une sacrée aventure. Merci à vous. Anna