Lucio Fontana, Rétrospective 1899-1968 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris

Vue d’exposition (Claire Mead)

« Un papillon dans l’air stimule mon imagination. En me libérant du discours, je me perds dans le temps et je commence à faire mes trous. » Ces mots de l’artiste italien Lucio Fontana m’accompagnent alors que je me perds aussi dans le temps. Un temps qui s’écoule vite et qui ne laisse pas toujours une image très nette des artistes qui l’ont marqué.

Le but de cette exposition au Musée d’Art Moderne est une rétrospective mais avant tout une redécouverte d’un artiste surtout connu pour ses toiles fendues…qui rencontrent toujours un succès aussi prenant au sein du marché de l’art, tout en touchant un public d’art contemporain. Même suite à sa mort en 1968, ces toiles parcourues de failles violentes mais épurées exercent toujours la même attirance…ou la même critique pointant du doigt la facilité de reproduire ce geste que Fontana a changé en signature. Lui-même l’avoue sans excuses : « J’ai inventé une formule que je ne peux perfectionner. » Malheureusement pour ceux qui auraient voulu reproduire ce geste si ‘simple’ à la maison, l’artiste italien n’aura pas laissé de mode d’emploi précis; malgré les photos d’Ugo Mulas, présentes dans l’exposition, qui montrent les différentes étapes de la construction de ses tableaux, la fente finale ne sera pas capturée.

Concetto spaziale, New York 10, (Concept spatial, New York 10), 1962, Collection Fondazione Lucio Fontana, Milan. © Fondazione Lucio Fontana, Milano / by SIAE / Adagp, Paris 2014.
Concetto spaziale, New York 10, (Concept spatial, New York 10), 1962, Collection Fondazione Lucio Fontana, Milan. © Fondazione Lucio Fontana, Milano / by SIAE / Adagp, Paris 2014.

Ce que cette exposition tâche de capturer, à la place, est le cheminement de l’artiste et de ses évolutions techniques et artistiques, de ses débuts en tant que sculpteur classique jusqu’à sa fascination avec l’espace, l’abstraction et un art qui pourrait concilier les deux.

En entrant dans l’espace, c’est donc sa première sculpture traditionnelle qui nous accueille, ainsi que des bas-reliefs, témoignage de sa formation artistique solide sous la surveillance d’un père sculpteur. Mais suite à cela, la pièce s’ouvre sur un immense espace circulaire, assez monumental et pourtant tranquille, où l’on circule avec facilité entre ses œuvres polychromes qui continuent à prendre des influences classiques un peu moins ordonnées et plus colorées, virant sur l’excès et le baroque. Après des œuvres assez abstraites et géométriques, il se tourne vers des œuvres « biomorphiques » – formes animales, humaines et végétales dont la texture organique contraste avec des couleurs vives.  Entre sculpture, dessin et peinture, intégrant l’atelier d’un céramiste, Fontana ne semble pas vouloir choisir, déclarant que « la couleur et la forme [sont] indissolubles, nés d’une identité nécessaire. »

Ces recherches sont encore concernées avec l’aspect plastique, technique. Ce n’est qu’à partir de 1946 que Fontana développe une fascination théorique avec le progrès et particulièrement l’exploration du cosmos, envisageant un futur épuré et idéalisé à travers ses œuvres. De ces idées llà viennent son Manifeste Blanc, un mouvement artistique (le Spatalisme) et le désir de nommer presque toutes ses toiles du titre «Concept spatial ». Cette fascination avec l’espace encore infini et inexploré est à la hauteur de ses ambitions en peinture, cherchant à reproduire les sensations et idées de ce grand « inconnu » en utilisant soit la toile, soit des espaces entiers. A vrai dire, certaines de ses idées les plus monumentales, émises sous formes de schémas et de croquis théoriques, auraient pu perdre le visiteur si ce n’était pour les installations qui ont été soigneusement récrées pour donner une impression grandeur nature de ces « concepts spatiaux. ». La plus spectaculaire est sans aucun doute la reconstruction d’Ambiance spatiale à la lumière noire (ou lumière de Wood), recréée d’après une installation de 1948, où l’on circule dans une pièce noire dans lequel des sculptures fluorescentes semblent flotter au-dessus de nos têtes comme des monolithes multicolores.  L’impression est à la fois féérique et inquiétante, fascinante et poétique. Elle représente pour moi le grand succès de cette exposition : elle ne perd pas son visiteur dans une approche abstraite théorique qui pourrait sembler au premier abord un peu indigeste, le laissant à la place parcourir l’espace de manière sensorielle et active.

Vue d’exposition (Claire Mead)
Vue d’exposition (Claire Mead)

L’espace lui-même, rond et tout en courbes, a quelque chose d’organique et d’intime tout en nous laissant suffisamment de place pour se balader ; on pense à une succession de couloirs et d’ouvertures plutôt qu’à une succession de salles, avec un décor blanc qui semble vaciller entre le classique et le « Space Age » futuriste que Fontana affectionnait tant. Ambivalence de ses influences, entre l’espace infini et le corps, qui se reflète à travers un large éventail de ses œuvres.  Sans concessions, il est touche à tout, revenant à la sculpture et continuant ses installations, collaborant pour des monuments et bâtiments italiens tout en dessinant des nus, flirtant avec le décoratif et le design, surtout vers la fin de sa carrière avec des œuvres telles que Concetto Spaziale, Teatrino (1965), imitant un décor théâtral revisité.

Des explications infinies pour « comprendre » son œuvre ?  Il y en a mais elles me paraissent complémenter ce que l’on voit au lieu de le rendre essentiel. Par exemple dans la série Olii (Huiles) dans les années 60, Fontana crée des toiles trouées couvertes de peintures à l’huile épaisse qui représentent pour lui, dans des couleurs primaires et industrielles, l’angoisse du spationaute dans l’espace et une peur inhérente de la mort ; pourtant, elles peuvent tout aussi bien être appréciées pour leurs qualités plastiques sans nécessité conceptuelle. Car ce « concept » concerne avant tout notre rapport à l’espace, celui devant nous en tant que spectateur, au sein duquel on marche et on évolue, que ce soit en regardant à travers les fentes d’un tableau ou en parcourant les couloirs blancs et étroits d’une installation. De la même manière ses tableaux Fine di Dio ou (Fin de Dieu) mêlent l’humour à une peur du futur, des couleurs joyeuses à une origine simpliste et naïve du monde. Qui est venu avant, Dieu ou l’œuf ? Derrière ses lunettes spatiales, Fontana n’a peut-être pas envie de donner d’explications plus claires.

 

Concetto spaziale, La Fine di Dio, 1963, Collection Musée national d'art moderne, Centre Pompidou © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Adam Rzepka © Fondazione Lucio Fontana, Milano / by SIAE / Adagp, Paris 2014.
Concetto spaziale, La Fine di Dio, 1963, Collection Musée national d’art moderne, Centre Pompidou © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Adam Rzepka © Fondazione Lucio Fontana, Milano / by SIAE / Adagp, Paris 2014.

Les rétrospectives les plus importantes amènent quelque chose de nouveau, et avoir l’opportunité de le faire avec un artiste à la fois si connu sous un aspect et méconnu sous d’autres donne lieu à une exposition limpide et dynamique que j’ai beaucoup apprécié. Paradoxalement et brillamment, elle permet de donner un portrait plus complexe et ambigu de l’œuvre de Fontana tout en la rendant plus accessible. Je vous invite donc à la découvrir au plus vite, jusqu’au 24 août.

Par Claire

 

 

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