Chili, 1988.
Nicomaque Santos coule une existence presque paisible avec son père, professeur de philosophie… jusqu’à ce que ce dernier se fasse arrêter sous ses yeux, en pleine salle de classe. Nico file le parfait amour avec Patricia Bettini, la fille d’un publicitaire chilien renommé, mais blacklisté par le gouvernement et donc au chômage.
Il est convoqué au ministère de l’intérieur : Pinochet, le dictateur au pouvoir depuis 15 ans décide subitement de faire un référendum demandant au peuple chilien s’il souhaite qu’il reste en place. Fait exceptionnel : il accorde une campagne de 15 minutes à la télévision aux partis de l’opposition. Pour gagner, Pinochet fait appel à Adrián Bettini car, même blacklisté, il reste le meilleur. Mais le publicitaire refuse, par peur des représailles. Lorsque la coalition de l’opposition lui demande de réaliser la campagne du non, Adrián se sent obligé d’accepter, par respect pour ses convictions.
L’ennui, c’est qu’il n’a pas le début de la moindre idée, et que l’inspiration lui fait défaut. Or, le temps presse.
Et il est difficile de braver 15 ans de dictature, de disparitions, de torture, en 15 petites minutes télévisées.
Pendant que Nico refuse de se résigner et concilie sa vie de lycéen, ses opinions et la recherche de son père, Adrián Bettini se lance dans la préparation d’un spot télévisé avec l’énergie du désespoir.
Le roman d’Antonio Skármeta est loin de n’être qu’un récit politique : c’est bien plus fin et subtil que cela ! Car on suit essentiellement le destin des personnages, à savoir Nico et Adrián (et, à travers eux, leurs proches), via le récit de la terrible bataille marketing qui s’engage entre le gouvernement et l’opposition.
Adrián Bettini se lance dans une campagne complètement loufoque, à base d’arc-en-ciel, de ritournelle entêtante, et de valse de Strauss. Une folie, quinze minutes acidulées, sur un air de musique totalement inapproprié. Lui-même n’y croit pas vraiment, l’opposition est effondrée, et c’est peut-être le plus beau de l’histoire.
Antonio Skármeta ne verse ni dans la fable moralisatrice, ni dans l’essai politique, ni dans le traité historique : le texte est très humain, et oscille entre différentes émotions. Le tragique de la situation au Chili est contrebalancé par l’espoir qui prend chacun aux tripes à l’idée que Pinochet pourrait bientôt être renversé. À cela s’ajoute la gaieté des petits instants volés à la dictature, la désolation devant la terrible réalité quotidienne, le désespoir et la lassitude profonds du peuple et de l’opposition.
Tragique, poétique, sensible, émouvant, le texte est simple, mais porteur d’un message lumineux et, malgré tout, c’est avec le sourire aux lèvres et plein d’énergie que l’on en ressort. Une réussite !
Antonio Skármeta, Les Jours de l’arc-en-ciel. Points, mai 2014. Traduction d’Alice Seelow.
Wow, je n’avais jamais entendu parler de ce livre, mais cette chronique donne bien envie de s’y plonger !