De là naît le postulat de Jean-Gabriel Causse : l’être humain est sous l’influence de la couleur, elle est capable de modifier notre perception du monde réel comme elle a la faculté de modifier nos comportements. « Allons donc », se dit alors le lecteur lambda, scepticisme à l’appui et mauvaise foi totale, qui jurerait ne s’être approché de ce livre en question que pour l’attrait de son titre et l’originalité du sujet. Et pourtant, ma bonne foi vous dirait bien que ce bouquin ne s’est retrouvé là entre mes mains – en grande partie – que par sa désarmante couverture et le charme incontestable de son artifice. Et dans cette affaire, la couleur – « innocente » séductrice – n’est pas blanche comme neige.
A la lecture de L’Etonnant Pouvoir des couleurs, le lecteur, doté d’une soif de savoir à en faire rougir les grosses têtes, fait travailler sa matière grise et se rend compte à quel point toute notre perception du monde est dominée par la couleur, conditionnée par cette dominatrice à qui l’on ne peut décidément rien lui refuser. Jean-Gabriel Causse fait un travail de précision dans cet ouvrage, il juge les couleurs sous toutes les coutures, dissèque les plus infimes nuances, décompose chaque grain de couleur, examine jusqu’à leur influence dans nos comportements sociaux et perce les secrets des couleurs – chaudes et froides – qui barbouillent notre quotidien. De nos rues à nos chambres à coucher, omniprésente et omnipotente, elle est la gardienne de nos choix, le gourou de nos décisions – et pour cause ! –, c’est écrit noir sur blanc dans cet ouvrage très détaillé et parsemé de multiples références. Le postulat de départ est convaincant, pour un auteur qui s’évertue à prouver que la couleur est dotée d’une influence psychologique et physiologique, une emprise émotionnelle, quoi de plus simple que de le prouver par quelques exemples bien trouvés ?
Des peintures que votre grande tante a choisies pour son salon d’intérieur ou pour sa coupe de cheveux dominicale, rien n’échappe aux conseils savoureux et bien placés de Jean-Gabriel Causse. S’il lui est venu à l’esprit – à votre grande tante, ne la perdons pas de vue – de choisir un bon vieux blanc pour « décorer » son salon mondain, conseillez-lui une couleur chaude à un blanc impersonnel, déshumanisé et tellement peu convivial, qui engendrera richesse et harmonie dans ses réunions Tupperware du samedi midi. D’ailleurs, pour inciter à l’achat lors de ses ventes à domicile, votre grande tante devrait savoir que les femmes « délient plus facilement leurs bourses dans des ambiances chromatiques fortes ». Elle gagnerait donc à parer son salon de couleurs ambiantes fortes pour « exciter à la consommation », et ainsi vendre à plus grande quantité. Et s’il lui vient à l’esprit cette autre idée lumineuse qui consisterait à s’endimancher d’une robe rouge pour se pavaner auprès de ses bonnes amies, ajoutez également – et grand bien lui en fera – que les mollahs iraniens, « en ce début de troisième millénaire, interdisent aux femmes de porter rouge à lèvres et chaussures rouges » – le rouge ayant été la couleur des robes des prostituées dans l’Antiquité.
Loin de se cantonner à la vue, Jean-Gabriel Causse redonne à la couleur ses lettres de noblesse et étend le champ des possibles : couleur et odorat, couleur et perception du goût, couleurs sexuelles, les cinq sens sont représentés dans cet ouvrage riche en anecdotes et où les références foisonnent. Pour ma part, j’ai été très intéressé par l’influence des couleurs sur les bancs de l’école : du stylo rouge qui sanctionne plus qu’il ne valorise, l’incidence de la couleur sur notre mémoire et qui favorise et améliore l’apprentissage, les couleurs qui suscitent concentration, productivité ou créativité dans les salles de classe, etc. Cet ouvrage regorge de « Saviez-vous que… ? », et de petites évidences qui deviennent des grandes vérités.
Jean-Gabriel Causse détruit, pages après pages, toutes nos certitudes et pointe l’ignorance de la majorité d’entre-nous sur le pouvoir des couleurs sur nos sentiments, nos émotions, nos décisions. Ce designer, membre du Comité Français de la Couleur, nous invite à aller plus loin, à appréhender cette grande inconnue, à la comprendre et à l’interpréter, dans une passionnante excursion sur la grande palette des couleurs. Nous la voyons mais ne la comprenons pas. Complexe et compliquée, elle se laisse voir mais ne se laisse percer sans facilité. Quand notre rétine la caresse, la perception que nous en avons est tellement plus superficielle que ce qu’elle n’est véritablement. Au moyen d’une écriture drôle et bien souvent spontanée, sans tergiversations ni fioritures, Jean-Gabriel Causse démystifie cette grande mystérieuse, chatouille notre rétine, et touche du coin de l’oeil un univers chromatique riche, avec cette profondeur sur le monde qui lui permet de percer subtilités et ambigüités.
Je vous donne carte blanche pour vous y plonger dès maintenant !
Sur les couleurs, je connaissais le travail (fascinant) de Pastoureau, mais pas ce monsieur ! Je note, ça a l’air très intéressant !