Si vous vous êtes toujours demandé à quoi ressemblait la vie de prof vue de l’intérieur, ne cherchez plus, Molière à la campagne est fait pour vous renseigner. Fonction décriée et moquée, payée au lance-pierre, ce métier est finalement assez méconnu du grand public. Emmanuelle Delacomptée nous plonge dans le quotidien de ce métier qu’on pense tous connaître.
Jeune professeur, Mlle D. s’apprête à entamer sa toute première année scolaire, dans un petit collège de Normandie. Pour la jeune Parisienne, le choc est rude : elle qui s’attendait à enseigner en région parisienne est mutée au milieu de nulle part. Première surprise. Elle découvre une classe peu motivée, turbulente, aux bases branlantes, qui n’a que faire de ses enseignements. Deuxième surprise. Elle ne peut malheureusement pas compter sur le soutien de sa hiérarchie : ses formateurs multiplient les acronymes ineptes et les grandes et belles idées absolument inapplicables dans une salle de classe. Troisième surprise. La situation est absurde, kafkaïenne même, mais notre narratrice doit faire avec. De sa motivation et de sa capacité à tenir sa classe de quatrièmes dépend sa titularisation, précieux graal accordé (ou non) en fin de parcours.
C’est un document à vous décourager de l’enseignement, si vous l’avez un jour envisagé ! On se croirait dans une maison de fous, entre les formateurs qui changent de terminologie chaque année pour mieux égarer enseignants et élèves, les appellations inutilement compliquées (« les géniteurs d’apprenants » pour parents d’élèves, voir p. 175-178 pour un chapitre d’anthologie) et un attachement irrationnel à une hiérarchie clairement dépassée. Bienvenue à l’éducation nationale ! A côté de ça, il faut gérer un troupeau d’élèves bruyants, qui se moque de savoir qui de Molière ou de Racine a écrit Le Malade imaginaire. Emmanuelle Delacomptée retranscrit de nombreux dialogues, qui nous montre le décalage entre les attentes de la jeune enseignante et la réalité de sa classe. L’idéalisme de la jeune enseignante ne fait pas long feu, alors qu’elle découvre l’envers du décor, le destin de ses élèves scellé dès la quatrième, les professeurs désabusés en salle des profs, les parents je-m’en-foutistes… Si ce livre change notre regard sur les profs, qui nous paraissent impliqués et motivés, on en ressort un peu frustré, en se disant qu’il y a décidément quelque chose qui ne va pas dans notre système d’éducation. On se félicite d’en avoir fini avec le collège, en se demandant sérieusement si nos classes étaient aussi turbulentes et désespérantes, et de n’avoir pas choisi de devenir professeur. On lit ce document avec plaisir, grâce à une construction fluide et un style simple et efficace.
Emmanuelle Delacomptée n’a en tout cas pas été découragée par cette première année : elle est désormais prof depuis près de dix ans.
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