Une vie après l’autre : MAGISTRAL !

La réputation de Kate Atkinson n’est plus à faire : depuis la parution de son premier roman, le virtuose Dans les coulisses du musée (de ces livres que l’on peut lire, et relire, et relire sans se lasser une seule seconde), l’auteur britannique fait mouche à chaque fois. Une vie après l’autre ne fait pas exception à la règle. Un peu comme Dans les replis du temps, Kate Atkinson explore le temps, et ses possibilités, grâce à une héroïne un peu spéciale, Ursula Todd, qui recommence sa vie du début à chaque fois qu’elle meurt. Car oui, Ursula meurt souvent. Et recommence aussitôt tout depuis le début, sans pouvoir se départir d’une étrange sensation de déjà-vu.

Angleterre, 11 février 1910. Le manoir de Fox Corner est isolé par de véritables murailles de neige. Sylvie Todd, la maîtresse des lieux, n’a que vingt-quatre ans mais est déjà en train d’accoucher de son troisième enfant. La météo difficile empêche l’arrivée du médecin, et Sylvie n’est assistée que de sa petite bonne, Bridget. Ursula naît donc, pour mourir aussitôt, étranglée par le cordon ombilical. Les ténèbres s’abattent.

Rebelote. La neige tombe toujours. Mais cette fois-ci, le médecin arrive à temps et tranche le cordon meurtrier. Ursula survit. Mais meurt cinq ans plus tard, emportée au large par une vague traîtresse. Rebelote. La neige tombe. Le médecin arrive, providentiel, et sauve l’enfant. Cinq ans plus tard, un peintre du dimanche voit Ursula en difficulté et la sauve de la noyade. Ursula décédera ainsi plusieurs fois au fil du roman : une chute accidentelle, la grippe espagnole, un bombardement, une fuite de gaz… A chaque fois, le lecteur se retrouve transporté le 11 février 1910. De ces vies successives, plus ou moins longues, Ursula tire d’étranges pressentiments irrépressibles, une sourde terreur qui l’avertit au tournant de sa vie, l’écarte du mauvais chemin. Au fur et à mesure, ces sensations de connaître des lieux et des personnes qui lui sont pourtant inconnus se font plus fortes. Jusqu’à, peut-être, lui donner la force de changer l’histoire. Car le roman, en réalité, ne s’ouvre pas tout de suite en Angleterre, en 1910, mais dans un café munichois en 1930 quand Ursula sort un revolver de son sac à main et abat d’une balle celui qui devait devenir trois ans plus tard chancelier de l’Allemagne.

La couverture britannique
La couverture britannique

On pourrait redouter l’ennui de revivre sans cesse les mêmes événements : mais Kate Atkinson évite brillamment cet écueil et si les vies d’Ursula se ressemblent, elles sont subtilement toutes différentes, et le lecteur prend plaisir à traquer les petites divergences et à comparer les différents destins d’Ursula. Kate Atkinson explore les vies potentielles de son héroïne et l’on prend la pleine mesure des choix d’Ursula : se mariera-t-elle, aura-t-elle des enfants, quel genre d’emploi occupera-t-elle, vivra-t-elle à Londres, ou ailleurs ? Certaines vies sont bien sûr plus réussies que d’autres, et certaines sont même véritablement tragiques. Nous avons aimé ce roman pour le talent avec lequel Kate Atkinson jongle avec les différents chemins de vie qu’elle fait tour à tour emprunter à son héroïne.

Une vie après l'autre

Mais Une vie après l’autre n’est pas qu’un jeu romanesque divertissant sur la vie d’Ursula, c’est également une plongée au sein d’une famille vraiment attachante, qui le devient davantage à chaque réincarnation d’Ursula. Hugh, le père affectueux, Sylvie, l’impayable matrone, le terrible Maurice, la raisonnable Pamela, l’adorable Teddy, Izzy la tante fantasque, sans compter Bridget la petite bonne, et Mrs Glover la cuisinière aux idées bien arrêtées, ainsi que la flopée de chiens forment une tribu des plus touchantes, qui sera – ou ne sera pas – frappée par divers deuils.

Le deuil paraît bien sûr inévitable dès lors que qu’Ursula traverse deux guerres mondiales : enfant lors de la première, elle la vit surtout par l’absence de son père, et les morts successives de tous les galants de Bridget. Bien sûr, la grippe espagnole s’avère un écueil difficile à éviter… Cette première guerre est presque anecdotique comparée à la deuxième, qui occupe près de la moitié du roman. Kate Atkinson nous livre une vision saisissante de Londres pendant le Blitz : les bombardements se révèlent dans toute leur horreur. Des abris de fortune dans les caves aux décombres d’immeubles vaporisés par l’explosion, Ursula est au cœur des événements. Elle mourra parfois, comme elle survivra dans certaines autres de ses réincarnations. Kate Atkinson multiplie alors les clins d’œil, menant ainsi son héroïne tout près du lieu où, dans une autre vie, elle a subitement été expédiée dans l’au-delà.

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Une vie après l’autre est un véritable petit trésor narratif : Kate Atkinson y est au sommet de son art. Elle joue avec brio avec les attentes de son lecteur, n’hésitant pas à le frustrer en mettant brutalement fin à la vie d’Ursula au moment le plus intéressant. Puis, rebelote, nous revoilà à Fox Corner, en 1910, sous la neige. Il est difficile de sortir de ce roman. On prend tellement l’habitude de ces éternels recommencements que, naïvement, nous voilà presque étonnés de se retrouver à la toute dernière page d’un roman qui aurait pu continuer ainsi presque éternellement, perdu dans une boucle perpétuelle…

Une vie après l’autre, Kate Atkinson. Grasset, janvier 2015. Traduit de l’anglais par Isabelle Caron.

Par Emily Vaquié

A propos Emily Costecalde 1154 Articles
Emily est tombée dans le chaudron de la littérature quand elle était toute petite. Travaillant actuellement dans le monde du livre, elle est tout particulièrement férue de littérature américaine.

16 Commentaires

  1. JE VEUX LE LIRE MAINTENANT HAAAAAA.
    (Mon commentaire est très constructif).
    Non sérieusement je pense que je vais l’emprunter à la librairie – ou l’acheter parce que je peux pas le garder mille ans chez moi surtout que ça fait une semaine que j’ai Viscères déjà.
    Merci de me donner envie de lire de nouvelles choses <3

    • Mais avec grand plaisir ! Je suis très fière de voir que je vous donne envie de lire ce livre, que j’ai savouré tout au long de la semaine !

    • Kate Atkinson, c’est un genre à elle toute seule. Elle est très douée pour bâtir une atmosphère et perdre ses lecteurs dans les méandres de l’intrigue. Elle te construit aussi des familles vraiment attachantes, parfois sur plusieurs générations. C’est TOP !

  2. WAOUH ! Je ne connaissais pas cette auteur. Et donc pas non plus ce roman. Mais le résumé et tout ce que tu en dis, ces vies successives, l’époque, l’éternel recommencement… il faut absolument que je découvre ce roman !
    Merci pour la découverte,
    Cajou

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