1865, Abraham Lincoln abolit l’esclavage.
1965, Lyndon Johnson signe le Voting Rights Act.
Un siècle.
Pendant un siècle, la ségrégation raciale a maintenu les Noirs américains dans un statut intermédiaire, plus esclaves mais pas citoyens pour autant. Alors qu’en théorie ils avaient le droit de vote, il leur était en pratique impossible de l’exercer dans de nombreux États du Sud, en raison de restrictions aussi arbitraires que discriminantes. La situation commence à changer au milieu des années 1950, mais le début de l’année 1965, sur lequel se concentre Ava duVernay dans Selma, a été particulièrement crucial.
Fraîchement nobélisé, Martin Luther King a l’oreille -plus ou moins attentive- du président Johnson, et en profite pour essayer de le convaincre de la nécessité d’une loi garantissant dans les faits le droit de vote pour les Noirs, sans condition. Se heurtant à un mur, MLK décide alors de soutenir le projet, lancé par Amelia Boynton, d’une marche pacifique de Selma à Montgomery (Alabama), pour réclamer au gouverneur de l’État la suppression des entraves aux droits civiques. Trois marches vont avoir lieu, seule la dernière aboutira et ouvrira la voie au Voting Rights Act.
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Le film a plusieurs mérites : celui, d’abord, de nous en apprendre plus sur des événements dont on n’a qu’une connaissance vague. Hors des États-Unis, on connaît Martin Luther King, grosso modo, pour son « I have a dream », son Nobel et son assassinat ; on sait que le mouvement pour les droits civiques exprimait ses revendications à travers des marches pacifiques, mais le détail des événements nous est en grande partie inconnu. Selma permet de pallier cette lacune en présentant les faits de manière claire et efficace.
Autre mérite : si l’approche d’Ava duVernay joue beaucoup sur le registre de l’émotion, elle accorde néanmoins une place importante à la dimension politique (les entretiens MLK / Johnson, les discussions entre les leaders du mouvement des droits civiques pour choisir la meilleure stratégie, etc.). Le portrait de Johnson est loin d’être flatteur, mais le film lui laisse une chance de s’exprimer et d’expliquer ses motivations : l’air « bonne pâte » de Thomas Wilkinson aidant, le Président semble plutôt bienveillant, gagné à la cause de MLK, mais empêché d’agir par ses conseillers et par ses propres calculs politiciens. Notons en revanche que le gouverneur d’Alabama est beaucoup moins bien traité (dans les deux sens, maltraité et mal traité), et l’interprétation de Tim Roth flirte avec la caricature, comme si les spectateurs avaient besoin d’aide pour comprendre à quel camp il appartient…
Le docteur King, quant à lui, est incarné par un David Oyelowo convaincant – performance d’ailleurs récompensée par un Golden Globe. Calme, humain, confiant, on n’a aucune peine à comprendre comment il est parvenu à diriger et à mener à bien un tel combat. Ava duVernay nous le présente sous toutes ses facettes – pasteur, militant, leader politique, mais aussi mari et père -, aspirant à une paisible vie de famille mais ne pouvant renoncer à poursuivre la lutte. Néanmoins, s’il est bien évidemment au centre du film, une solide galerie de personnages secondaires nous rappelle qu’il n’a pas combattu seul : même si son soutien a été crucial, la marche aurait eu lieu sans lui.
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En un mot : Ava duVernay signe un film fort et résiste à la tentation d’héroïser démesurément MLK en ne perdant pas de vue que, s’il reste le symbole de la lutte pour les droits civiques, à Selma c’est une foule qui se lève et qui marche.
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