Clap de fin pour la série Mad Men, qui nous plongeait depuis sept saisons dans l’univers impitoyable des publicitaires new-yorkais où, dans un nuage de fumée et un verre de whisky en main, Don Draper essayait de concilier vie professionnelle et vie familiale. C’est l’occasion, plus que jamais, de se pencher sur L’Homme au complet gris qui aurait largement inspiré la série culte.
Avec le roman de Sloan Wilson, best-seller de l’année 1955, puis film à succès en 1956, nous voilà plongé dans le New-York des années 50 : une métropole en plein boom, où des milliers d’hommes fraîchement revenus de la guerre (la seconde guerre mondiale, puis celle de Corée) cherchent à se construire une situation… Des milliers d’hommes en complet gris, qui arpentent les rues, travaillent à Manhattan, et rentrent chez eux en banlieue le soir venu, pour retrouver leur épouse et leurs enfants. Tom Rath est l’un d’entre eux : il s’est illustré à la guerre comme parachutiste et occupe un poste enviable de cadre moyen dans une fondation. Le soir venu, il rentre dans son pavillon de Westport où il retrouve sa femme Betsy et ses trois enfants en bas âge.
Il est loin le temps où Tom risquait sa vie au-dessus de la France ou du Pacifique. Aujourd’hui, en 1953, Tom a sur le papier tout pour être heureux. Pourtant, il ne peut s’empêcher d’être insatisfait : à ses yeux ambitieux, il gagne trop peu, sa maison est trop médiocre, il court trop après les petites dépenses. Aussi, lorsqu’il entend parler d’une nouvelle situation à l’United Broadcasting, un géant de la radio et de télévision nouvelle-née, Tom envisage de bousculer son quotidien et de postuler. Mais cette nouvelle situation entraîne des sacrifices : il lui faudrait passer moins de temps avec sa famille. Tom est-il prêt à dire adieu à son temps libre pour se construire une carrière ? Déchiré entre sa famille et son emploi, Tom traverse une période de doutes.
Les tergiversions de Tom Rath ont quelque chose de passionnant, et de terriblement actuel. Quel jeune actif ne s’est jamais demandé jusqu’à quel point il est prêt à s’investir dans une nouvelle situation, au détriment du reste ? Pourtant, L’Homme au complet gris aurait difficilement pu être davantage ancré dans son époque : les femmes sont secrétaires ou mères au foyer, tout le monde boit joyeusement, on fume à tout va, et l’on sent que le monde baigne encore dans l’euphorie de la fin de la seconde guerre mondiale. Nous sommes en 1953, en plein boom économique. Chacun veut sa part du gâteau, et Tom Rath encore davantage que les autres. Il faut dire qu’il est pressé par son épouse Betsy, qui rêve d’une plus jolie maison, d’une bonne école pour leurs enfants, sans compter d’une nouvelle machine à laver… Tous les projets familiaux dépendent de l’emploi de Tom : privé de celui-ci, la petite famille serait bien rapidement dans le besoin car, bien que gagnant décemment sa vie, Tom passe son temps à courir après l’argent et ne peut mettre le moindre sou de côté. La société de consommation est ainsi faite.
Le couple de Tom s’est enfoncé dans la routine : mariés depuis « avant la guerre », Tom et Betsy n’ont même plus l’envie de se disputer. Betsy rumine ses rêves déçus, et Tom souffre encore de stress post-traumatique : il ressasse la mort des dix-sept hommes qu’il a tués pendant la guerre, dont celle de son meilleur ami, tué par mégarde, et l’enfant naturel eu en Italie pendant une parenthèse entre le front ouest et le front est. Ce manque de communication a gangrené la vie familiale et les conversations tournent toutes autour du trivial (« Barbara a la varicelle et la machine à laver est détraquée. » p. 17) ou de l’argent (le salaire de Tom, la succession de la grand-mère ou les petites sommes du quotidien). A trente-trois ans, Tom se cherche. A l’United Broadcasting, il travaille avec Hopkins, véritablement self-mad man comme l’Amérique les adore. Hopkins a toujours été un bourreau de travail, et s’est hissé très vite à la direction de son entreprise. Il a aujourd’hui argent et respect. Mais sa vie de famille se délite. Tom observe son patron, et se demande s’il est prêt aux mêmes sacrifices pour parvenir à toucher « 200 000 dollars par an », ce qui semble être alors le summum du succès.
Sloan Wilson nous introduit dans les petites banlieues américaines, et dans les bureaux new-yorkais, le tout dans une atmosphère délicieusement surannée. Il nous semble voir les secrétaires tapoter sur leurs machines à écrire, les cadres fumer le cigare en dictant leur courrier, les employés s’engouffrer dans de luxueux ascenseurs activés par des liftiers en livrée. La vie professionnelle à New York a alors quelque chose d’un peu fébrile, d’un peu absurde, comme une parenthèse onirique dans la journée, avant de retrouver la réalité au terme de la journée, dans un pavillon de banlieue. Le récit de Tom Rath a quelque chose d’addictif, porté par un style fluide, efficace. On se prend de passion pour la vie de cette famille figée dans le temps. A découvrir au plus vite !
Comme tu parles bien de ce roman et de cette époque <3 : comme toi j'avais l'impression d'entendre les clic clic des machines à écrire des secrétaires et de sentir la fumée de cigare !
Je m'en vais ajouter ton billet à la fin du mien ^^
Je ne sais pas si tu as lu le roman de Rona Jaffe, « Rien n’est trop beau », mais je pense que cela peut te plaire du coup ! 😉