Ah, et si c’était aussi simple ! S’il suffisait à notre héros, Milo, de demander des fonds pour qu’on les lui accorde. Mais la vie, même romanesque, est souvent plus compliquée que prévue. Et pour Milo, voilà des ennuis à l’horizon…
Il a tout du loser, il faut l’avouer : la quarantaine, le regard salace, la paresse assumée. De lui-même, il l’admet bien volontiers : il ne sait pas vraiment pourquoi on l’a embauché dans la « médiocre université » où il travaille et se définit comme « une de ces anomalies que l’on trouve parfois dans un bureau, une présence pas déplaisante mais généralement improductive » (p. 13). Notre cher Milo n’a décidément rien pour lui, d’autant qu’il persiste à se gaver de wraps à la dinde dégoûtants et à reluquer la voluptueuse poitrine de sa chef.
Un jour, patatras, la routine bien huilée de Milo bascule. Un coup de sang, et c’est la porte. Le voilà au chômage… jusqu’à ce qu’un fantôme de son passé lui tende la main. En parallèle, le mariage de Milo bascule peu à peu dans le néant. Pour faire court : ce n’est pas la joie.
Milo est le type même de l’antihéros que l’on aime suivre : on pense pêle-mêle au héros de Solaire de Ian McEwan et même un peu à Ignatius Reilly, le terrible personnage principal de l’inénarrable Conjuration des imbéciles. Avec Milo, la filiation est assurée. C’est un condensé d’ambitions ratées, de médiocrité assumée, et de logorrhées apparemment incontrôlables : car Milo n’hésite pas à traiter sa propre mère de « vieille chatte pas ramonée » ou à tout bonnement balancer ses fantasmes à sa chef, comme dépourvu du moindre filtre social. C’est réjouissant.
Le monde dans lequel évolue Milo n’est guère mieux : l’université, il le dit lui-même, est médiocre. Elle flatte des étudiants qui le sont tout autant tant que leurs parents raquent. Les employés qui y travaillent sont tous plus ou moins barrés : la chef « enfant du crack » rigide et sexy qui ne jure que par la salade russe, le doyen aux expression très imagées, sans oublier Horace, le « djeunz » de service aux théories fumeuses et à l’ambition démesurée. Tout ce petit monde essaie désespérément de chasser le mécène afin d’obtenir des faveurs à l’aune desquelles ils seront impitoyablement jugés par leurs pairs.
Et voilà que surgit Purdy, l’ami d’antan, le messie qui, les poches pleines, revient dans la vie de Milo. Le récit se fait alors plus politique, plus grave, avec l’entrée en scène de Don, le fils de Purdy, à qui la guerre a volé ses jambes.
Demande, et tu recevras dévoile sans concessions et sans pathos la vie de la classe moyenne américaine, avec ses petits travers et ses petites galères. La galerie de personnages est savoureuses : que dire du frangin de la nounou, aux idées délirantes sur la téléréalité, ou même du fils de Milo lui-même, petite frappe en devenir ? Sam Lipsyte va droit au but et évoque aussi bien l’obsession du bio et les marottes bobos que le stress post-traumatique, le deuil ou la difficulté de maintenir son couple au quotidien. Une lecture étrangement réjouissante.
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