D’un mauvais œil : une famille dans le collimateur

D'un mauvais oeil, Jessica Treadway, Préludes

Hanna Schutt a vu sa vie tranquille de banlieusarde New-Yorkaise basculer le soir de Thanksgiving. Un intrus a pénétré sa maison, tué son mari à coups de maillet et laissé des cicatrices indélébiles sur son propre visage. Que justifierait un tel acte de violence ? Pourquoi s’en prendre à ce petit couple sans histoire ? Tout semble accuser Rud, le petit-ami de Dawn, leur fille cadette. Mais quand ce dernier est reçu en appel trois ans après le procès initial, les doutes refont surface. D’autant plus que depuis ce jour, Hanna n’a plus aucun souvenir de l’événement…

Ce roman, dans sa construction, peut s’apparenter à un ascenseur temporel. Hanna nous expose les faits à la première personne, se perdant régulièrement en digressions au gré de ses pensées vagabondes. Mais jamais on ne se perd. Hanna sait nous prendre par la main pour aller explorer son passé afin de comprendre pourquoi, ô grand pourquoi, un tel drame est survenu dans sa morne vie. La faiblesse psychologique de Dawn est-elle en cause ? La folie de Rud n’a-t-elle aucune limite ? Quel a été l’élément déclencheur ? Il faut avouer que l’auteure, Jessica Treadway, maîtrise tout à fait son intrigue. Jamais le lecteur ne se dit « je ne comprends plus rien » ou « il y a un truc qui cloche ». Non, le récit est divinement déroulé, au point qu’on se laisse bercer par les péripéties des protagonistes.

D'un mauvais oeil, Jessica Treadway, Préludes

Côté personnage justement, l’auteure a su développer à la perfection les relations mère-filles présentes dans le roman. La relation avec Iris, l’aînée, est certes moins étendue, mais elle apporte une pierre non négligeable à la matrice psychologique de l’héroïne Hanna. Avec son autre fille en revanche, les détails sont saisissants. La narratrice-personnage nous raconte différentes scènes de l’enfance et de l’adolescence de Dawn, nous permettant de juger par nous-mêmes de la descente aux enfers de cette enfant fragile : Dawn et son strabisme, Dawn et les moqueries de ses petits camarades de classe, Dawn et son manque d’assurance, Dawn et sa volonté de plaire à son père quoi qu’il arrive, Dawn et sa jalousie maladive envers sa grande sœur si parfaite…

Le sujet de bac de cette année 2015 pour la section littéraire posait la question « Suis-je ce que mon passé a fait de moi ? ». Avec D’un mauvais œil, c’est exactement là que se trouve le fond du problème. Dawn a-t-elle hérité des mauvaises intentions de son grand-père maternel ? Est-elle véritablement devenue « La Cloche » dont ses camarades se moquaient ? Son strabisme a-t-il joué sur son état mental ? Une famille n’est-elle que la somme de ses erreurs ?

Bref, D’un mauvais œil nous fait approcher de façon remarquable les périlleuses relations entre un parent et son enfant, la délicate tâche de l’adulte qui consiste à élever un enfant pour en faire quelqu’un de bien, quelqu’un de responsable. Malgré tout, il faut se dire qu’une part de ce qu’il devient n’est pas liée à l’éducation, ou aux parents directement, mais qu’une part de hasard s’insinue dans le processus de développement psychologique.

La fin quant à elle est assez surprenante, voir choquante. Les cartes tombent, la vérité se dévoile. Et quelle vérité ! C’est puissant, fascinant, effarant. A lire absolument !

D’un mauvais oeil, Jessica Treadway. Préludes, mai 2015. Traduit de l’américain par Eric Moreau.

A propos Severine Le Burel 136 Articles
Littéraire dans l’âme, j’attends d’un roman, film, ou fiction de l’émotion, des bouleversements, un ouragan de sentiments… Bref, j’aime qu’une histoire me touche et me transforme.

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